Pas de grandes idées en éducation durant la campagne ? La critique est trop facile.

C’est vrai, on débat surtout de petites mesures concrètes. De patchage pour un réseau mal en point.

Mais dans les programmes des péquistes et des solidaires, un enjeu crucial est abordé. Un tabou que les autres n’osent pas aborder. Peut-être parce qu’il est plus facile à dénoncer qu’à régler. Je parle de la ségrégation scolaire causée par notre école à trois vitesses (privé, public enrichi et public ordinaire).

Avant d’aller plus loin, un mot sur le constat. En 2016, une phrase-choc du Conseil supérieur de l’éducation avançait que le Québec aurait le système le plus inégalitaire au pays. Cela ne portait que sur le primaire et le secondaire – notre réseau de garderies sert de modèle au Canada et les droits de scolarité à l’université sont parmi les plus faibles. Et même pour le primaire et le secondaire, le retard du Québec doit être relativisé. Plusieurs tests, comme le PISA, le TIMSS et le PIRLS, montrent que le Québec obtient de meilleurs résultats que la moyenne des pays développés.

Selon le PISA, les moins nantis du Québec font mieux que ceux du Canada en lecture et en maths. L’écart entre riches et pauvres n’a pas augmenté non plus. Et chez nous, il s’explique aussi par le fait que les élèves doués sont plus forts que ceux des autres provinces⁠1.

Ces bonnes nouvelles en cachent toutefois de mauvaises. Parmi les élèves qui fréquentent le public ordinaire au secondaire, à peine 15 % iront à l’université. Pour le public avec sélection, le taux est de 51 %. Et pour le privé, c’est 60 %2.

Le type d’école n’est pas le seul facteur. Le résultat dépend aussi de la scolarité et, dans une moindre mesure, du revenu des parents.

On peut se consoler avec le fait que le taux de diplomation universitaire a augmenté au Québec, particulièrement chez les étudiants qui sont les premiers de leur famille à y accéder. Reste qu’un constat demeure : l’école ne réussit pas encore à donner une chance égale à tous.

Au-delà des chiffres, plusieurs drames se vivent. Des enfants sont anxieux, car dès la cinquième année, leurs notes rétrécissent déjà les possibilités futures qui s’offriront à eux. Le magasinage incitera des plus performants à étudier loin de chez eux. Dans le réseau public « ordinaire », des enseignants déjà surchargés seront pris avec une plus grande proportion d’élèves en difficulté. Sans oublier le taux de décrochage alarmant chez les garçons.

On peut faire mieux.

Pour renforcer l’égalité des chances, la Coalition avenir Québec a lancé le programme Agir tôt, qui dépiste les troubles d’apprentissage des tout-petits. Elle mise aussi sur les maternelles 4 ans. Or, les places se créent moins vite que prévu et les services n’y sont pas toujours accessibles.

François Legault a converti les commissions scolaires en centres de services – la décentralisation promise ne se fait toutefois pas sentir sur le terrain. Enfin, il a réduit des frais dans le système public sélectif.

Le chef caquiste maintient le système actuel en essayant de le rendre un peu plus performant et équitable. C’est également l’approche du Parti libéral. Dominique Anglade diminuerait davantage la facture des parents. Le public sélectionnerait encore des élèves, mais tout programme coûtant moins de 5000 dollars deviendrait gratuit. Les libéraux élimineraient aussi les frais de surveillance le midi et doubleraient le crédit pour fournitures scolaires.

Les péquistes et les solidaires veulent au contraire s’attaquer au système à trois vitesses.

Ils mettraient fin à la sélection au public et, progressivement, au financement du privé. Petite différence, QS abolirait les frais au public, tandis que le PQ lancerait une commission Parent 2.0 sur l’avenir de l’éducation. Selon eux, une telle réforme doit émerger d’un consensus social. Du bas vers le haut.

Des parents sont sans doute tiraillés. Ils veulent que leur enfant choisisse la meilleure école. Mais ils voient que cette concurrence fait des dommages collatéraux.

Les libéraux et les caquistes abordent le dossier avec un angle individuel. Ils se demandent ce que les électeurs souhaitent pour leur enfant. Tandis que les péquistes et les solidaires y réfléchissent d’un point de vue collectif en cherchant le meilleur modèle pour tous.

Même si les écoles privées sont avantagées par la sélection de leurs élèves, cela ne suffit pas à expliquer leur succès. Leurs initiatives et le sentiment d’appartenance de leur personnel y contribuent sans doute aussi.

Elles accompagnent des élèves en difficulté et stimulent les doués. Leurs bonnes initiatives sont reprises par le public sélectif.

C’est un beau modèle, pour ceux qui y ont accès. Mais il fait des victimes collatérales, comme les moins privilégiés ou performants qui écopent du manque de mixité en classe⁠3.

Comment protéger l’égalité des chances sans niveler par le bas ? C’est ici qu’intervient le mouvement École ensemble. En mai dernier, ce groupe citoyen a déposé un plan fouillé⁠4. Il propose que les écoles privées conservent leur autonomie de gestion et deviennent entièrement subventionnées. En contrepartie, elles ne sélectionneraient plus leurs élèves. Ce seraient désormais des écoles de quartier. Au public, les projets particuliers seraient encouragés partout pour reproduire des succès comme ceux à Princeville et à La Ruche, dont ma collègue Marie-Eve Morasse a déjà parlé⁠5.

Plusieurs questions demeurent. Combien d’élèves quitteraient le privé ? Puisque le ratio d’élèves par classe y est en général plus grand, aggraverait-on la pénurie de profs ? Démotiverait-on un réseau efficace ? Et les riches déménageraient-ils tout simplement près des meilleures écoles ?

Dans le milieu, on a senti une irritation face à École ensemble. Leur message : laissez-nous tranquilles, on a le contrôle…

Ce groupe citoyen a pourtant le mérite de sortir du clientélisme pour provoquer une réflexion sur le réseau dans son ensemble. Sur ce qui est devenu un marché.

Peut-être que des solutions plus pointues et pratiques seraient préférables. Par exemple, abolir la sélection au public et renforcer la mixité au privé, même si elle y existe déjà.

Je l’ignore. Je sais seulement une chose : ce débat ne doit plus se faire entre les lobbys. On veut entendre les experts d’abord, et la population ensuite.

En 1996, les États généraux sur l’éducation lançaient cette mise en garde : « On ne peut, d’une part, affirmer que l’on veut la réussite du plus grand nombre et, d’autre part, placer les élèves les moins privilégiés dans les conditions les plus désavantageuses. »

On ne peut pas, disait le rapport. Et pourtant, on continue de le faire.

1. Lisez une analyse de Francis Vailles à ce sujet

2. Source : « School market in Quebec and the Reproduction of Social Inequalities » de Pierre Canisius Kamanzi, publiée dans Social Inclusion, janvier 2019.

3. Lisez une étude faite en Angleterre au sujet de la mixité sociale (en anglais) 4. Lisez le plan d’École ensemble 5. Lisez le reportage de Marie-Eve Morasse