Alors, c’est quoi, le chiffre magique ? Combien faut-il d’immigrants pour sauver le Québec de la ruine ? François Legault propose d’en accueillir 50 000, le Conseil du patronat en veut deux fois plus, Dominique Anglade tente 70 000, Gabriel Nadeau-Dubois pousse à 80 000…

Personne n’a l’air de connaître, précisément, la bonne réponse. On se croirait dans The Price Is Right.

Paul St-Pierre Plamondon se démarque de ses concurrents en proposant de limiter le nombre de nouveaux arrivants à 35 000 par année. Le chef du Parti québécois dit vouloir ramener les seuils d’immigration à ceux des années 1990, à l’époque « où le français était même en progression à Montréal ».

Le problème, c’est que nous ne sommes plus dans les années 1990. Impossible de revenir en arrière simplement en abaissant les seuils d’immigration. De nouveaux chiffres doivent être inclus dans l’équation.

Ceux-ci, par exemple : en 1991, il y a eu 97 000 naissances et 49 000 décès au Québec1.

En 2021 : 82 000 naissances, 71 000 décès.

Autrement dit, les Québécois font de moins en moins d’enfants. Ils vieillissent – et meurent – de plus en plus. Si la tendance se maintient (et il n’y a aucune raison pour qu’elle ne se maintienne pas), ils finiront par disparaître.

Ce n’est pas alarmiste. C’est mathématique.

Sans immigration, la nation québécoise est foutue.

Remarquez, il y a une autre solution : demander aux femmes de faire des bébés. Vous savez, comme dans le bon vieux temps, celui de Rose-Anna et de Joseph-Arthur.

Dans ce temps-là, les curés savaient compter. Ils savaient que, pour résister à l’assimilation, les Canadiens français devaient faire des enfants. Beaucoup, beaucoup d’enfants. Treize, quatorze par bonne femme.

Alors, les curés ont pressé leurs fidèles : procréez, c’est votre mission divine ! La stratégie a fonctionné. Dans les chaumières catholiques, un bébé-résistant n’attendait pas l’autre. On a appelé ça la revanche des berceaux.

Une solution efficace, pour sûr, mais pas nécessairement adaptée à notre époque…

Le Conseil du patronat insiste depuis longtemps pour que le Québec ouvre toute grande sa porte aux immigrants. Selon lui, il faut des bras pour combler la pénurie de main-d’œuvre qui sévit dans la province.

La demande semble logique, concrète, pas du tout idéologique ou partisane. Difficile de croire que ça ne changerait rien, comme l’avance Paul St-Pierre Plamondon.

Pourtant, là-dessus, le chef péquiste semble avoir raison. Si l’on se fie à une analyse2 de plusieurs études réalisée par l’économiste Pierre Fortin, les immigrants ne se contentent pas de pourvoir des postes vacants ; en tant que consommateurs, ils augmentent la demande pour des biens et des services, ce qui entraîne inévitablement de nouveaux postes à pourvoir…

Sans compter qu’à la longue, les immigrants ont cette fâcheuse tendance à vieillir et à remplir les résidences pour aînés, eux aussi…

Il serait terriblement injuste, bien sûr, de réduire les immigrants à des besoins de main-d’œuvre. Ce ne sont pas que des bras. Ce sont des têtes et des cœurs. Des hommes et des femmes qui enrichissent la société sur le plan économique, mais aussi sur le plan culturel. Ces gens-là font du Québec une nation plus belle, plus intéressante, plus diversifiée.

Encore faut-il leur permettre de bien réussir leur intégration.

Toutes les sociétés du monde débattent de la place qu’elles doivent offrir aux nouveaux arrivants. Au Québec s’ajoutent une ou deux difficultés supplémentaires : d’abord, la nécessité de protéger le fait français, en constant péril dans une mer anglophone nord-américaine.

Le Québec doit donner plus de ressources à la francisation des immigrants. Ces programmes se soldent trop souvent par des échecs frustrants.

M. St-Pierre Plamondon propose d’aller plus loin en accueillant des immigrants qui maîtrisent le français avant leur arrivée au Québec. Ça n’est probablement pas farfelu, considérant le nombre élevé de pays francophones dans le monde.

La seconde difficulté du Québec, c’est qu’il est en partie tributaire des décisions d’Ottawa, qui compte accueillir 450 000 immigrants permanents par année à partir de 2024.

À ce rythme-là, le Québec devrait admettre 100 000 immigrants par année s’il veut préserver son poids démographique (22,5 %) par rapport à l’ensemble du Canada.

Ça ne semble pas préoccuper François Legault outre mesure. Le premier ministre évoque la Suisse, un « petit pays extraordinairement riche ». Ce qui est important, assure-t-il, ce n’est pas d’être gros, « c’est d’avoir une qualité de vie ».

Et pourtant, oui, le poids est aussi important. Le Québec n’est pas la Suisse. Ce n’est pas un pays. C’est la province francophone d’un pays majoritairement anglophone qui a choisi d’ouvrir les vannes en matière d’immigration.

Si le Québec accueille 50 000 immigrants par année, comme le propose M. Legault, son poids démographique au Canada passera de 22,5 % aujourd’hui à 16,4 % en 2061. À Ottawa, son poids politique chutera de la même manière. Ça aussi, c’est mathématique.

Pour le François Legault d’il y a 20 ans, la solution aurait été simple : l’indépendance. Mais le chef de la CAQ n’en est plus là. Le problème existentiel auquel est confronté le Québec, lui, demeure entier.

1. Consultez le tableau de l’évolution des naissances et des décès au Québec 2. Lisez « De combien d’immigrants permanents le Québec a-t-il besoin ? »