On a eu chaud (émoji souriant avec goutte de sueur) ! Google consent à verser 100 millions par année pour soutenir le journalisme canadien.

C’est plus que ce qu’a obtenu l’Alliance de la presse d’information générale (APIG) en France, en 2021. Selon Reuters, Google verse l’équivalent de 22 millions US par an à quelque 300 journaux français. Ça va de 1,3 million pour Le Monde à un peu moins de 14 000 $ pour La Voix de la Haute-Marne.

Mais c’est moins que les 172 millions auxquels s’attendait Patrimoine canadien. J’ai échangé avec le prof d’économie Haaris Mateen, de l’Université de Houston, qui vient de cosigner une étude sur ce que Google et Meta devraient verser aux médias des États-Unis. Selon lui, c’est 750 millions que Google aurait dû verser pour apporter une compensation au journalisme d’ici.

Rappelons que mon collègue Dwayne Winseck, de l’Université Carleton, estime que les revenus publicitaires de la multinationale au Canada ont atteint 6,27 milliards en 2021 ; 100 millions représentent donc 1,6 % de cette somme. Merci pour les chaussettes, ma tante Google.

La somme sera confiée à un « collectif » à définir. Elle sera distribuée en fonction du nombre de journalistes à temps plein qui sont employés dans un média. Mais à qui, au juste ? Il faudrait y aller en fonction des priorités. La Presse Canadienne, qu’on oublie souvent, devrait arriver au premier rang. Ses journalistes sont parmi les plus chevronnés au pays. L’agence de presse est une clé de voûte de l’écosystème d’information au Québec et au Canada. Elle appartient notamment à Torstar, qui a éliminé 600 emplois en septembre.

La radio d’information privée devrait venir ensuite. Elle ne bénéficie d’aucune subvention. Des stations parlées de Cogeco risquent de fermer à brève échéance.

Ensuite, il est trop difficile de discriminer. Hebdos. Télés. Quotidiens. Tout le monde mérite d’être aidé. Pour donner plus d’oxygène à ceux dont le financement ne dépend pas entièrement du public, Radio-Canada devrait cependant se garder une petite gêne et ne pas réclamer sa part de ces 100 millions, en dépit des compressions annoncées.

Le Canada a beau avoir adopté la Loi sur les nouvelles en ligne, les géants du web ont encore le gros bout du bâton. Ils sortent de l’exercice plus forts que l’État. Google donne ce qu’il avait initialement proposé. Meta, de son côté, fait un monumental doigt d’honneur aux Canadiens et à leurs élus.

Il serait temps de réparer C-18 et de le fortifier en se donnant le courage de réglementer ces entreprises que mon ancien patron Alain Saulnier a plus que jamais raison de qualifier de barbares numériques. Je ferais quatre recommandations.

Pour la première, je vais m’appuyer sur la Charte canadienne des droits et libertés. Son article 3 garantit les droits démocratiques des Canadiens. Cela sous-entend le droit de voter de manière éclairée. Sur le site web du ministère fédéral de la Justice, on peut lire : « Une mesure qui prive les électeurs des renseignements suffisants pour leur permettre de voter d’une manière éclairée peut porter atteinte au droit de vote garanti par l’article 3 », et cette affirmation se base sur une décision de la Cour suprême datant de 1998. Le blocage des nouvelles par Meta est, à mon avis, une telle mesure.

Dans la mesure où 45 % des Canadiens aujourd’hui s’informent au moyen de réseaux sociaux, selon le Digital News Report 2023, je crois que le législateur aurait un argument pour obliger les plateformes en ligne à fournir de l’information aux Canadiens, ou à tout le moins pour leur interdire de retrancher l’information d’intérêt public. L’article 51 de la Loi sur les nouvelles en ligne va d’ailleurs dans ce sens. Il faudrait simplement lui donner un caractère rétroactif.

Deuxième recommandation : ne plus négocier avec les géants du web pour déterminer le montant des redevances. La loi devrait décréter qu’elles équivalent à un pourcentage du chiffre d’affaires canadien de plateformes en ligne qui se sont enrichies grâce à l’information au cours des 15 dernières années.

Mais comment calculer ces sommes si on n’a pas de données financières sur ces plateformes ? C’est ma troisième recommandation. L’Australie mène actuellement une enquête, qui s’échelonne entre 2020 et 2025, sur les plateformes en ligne. Le septième rapport d’étape de cette enquête a d’ailleurs été rendu public le lundi 27 novembre. Quand on le lit, on se rend compte que l’Australie oblige les multinationales cotées en Bourse à fournir des états financiers détaillés sur leur filiale australienne. C’est l’Australian Securities and Investments Commission qui recueille ces informations. Qu’est-ce que le Canada attend pour se doter des mêmes outils ?

Ma dernière recommandation, enfin, vise elle aussi à ce qu’on se donne collectivement plus de moyens. Dans le but de protéger les citoyens, les gouvernements se sont donné le droit d’aller voir comment certaines entreprises manipulent les aliments ou les médicaments ; ils se donnent le droit d’inspecter les aéronefs, de fouiller les bagages des voyageurs.

Les plateformes en ligne, en dépit de tous les bienfaits qu’elles nous procurent, peuvent également avoir des effets néfastes. Dans la mesure où elles ont fait la démonstration, au cours des 12 dernières années, de leur incapacité à mitiger elles-mêmes ces effets néfastes, j’estime que le temps est venu pour le Canada de se donner le droit d’aller voir quelle est l’information que ces entreprises possèdent au sujet des citoyens canadiens. Je ne parle pas uniquement de Meta et d’Alphabet, mais aussi d’OpenAI, d’Uber, de Netflix, de Spotify, etc.

Dans le respect, évidemment, de la vie privée des utilisateurs, le Canada devrait se donner le droit d’accéder aux bases de données de ces entreprises et d’en examiner les algorithmes. Je sais que c’est comme le secret de la Caramilk. Le bien-être des Canadiens est supérieur aux intérêts commerciaux de ces entreprises. C’est d’ailleurs le sens du projet de loi C-292 déposé par le néo-démocrate Peter Julian, mais qui dort au feuilleton depuis 2022.

Ce droit devrait également être assorti d’obligations pour ces plateformes de fournir (dans le respect de la vie privée des utilisateurs ici encore) des interfaces de programmation, des API, pour permettre aux chercheurs d’étudier ce qui se passe sur ces plateformes, qui ont une place de plus en plus importante dans la vie des Canadiens. Des chercheurs du monde entier réclament de tels outils depuis des années. Le scientifique en chef, Rémi Quirion, devrait d’ailleurs en faire l’un de ses chevaux de bataille.

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