L’auteur nous a fait parvenir ce texte, qui se veut une réponse à l’éditorial « Une assurance médicaments nationale pour Noël ? Pas besoin ! » ⁠1

J’ai été estomaqué de lire l’éditorial de Stéphanie Grammond, une journaliste que j’apprécie pourtant énormément, sur le besoin de rejeter une assurance médicaments publique universelle. Certains arguments, aussi tenus par le lobby de l’industrie de l’assurance, sont inexacts et les suggestions proposées seraient contre-productives.

D’abord, personne n’a jamais parlé de « nationaliser à 100 % l’assurance médicaments ». Le gouvernement fédéral s’était engagé à respecter les recommandations du rapport Hoskins⁠2 qui demande la mise en place d’une assurance médicaments publique pour tous, alors que les provinces et les employeurs pourraient complémenter cette couverture selon leurs besoins. Aucun employé ne perdrait son assurance privée, mais le fédéral couvrirait désormais une partie des médicaments, permettant des économies sur le coût des avantages sociaux des employés.

Sur la question des coûts, rappelons qu’avec des hypothèses très prudentes, le Directeur parlementaire du budget considère que, avec des quotes-parts maximales de 100 $ par année par ménage (plutôt que 2400 $ sous le régime actuel du Québec), un régime public universel assurerait un meilleur accès aux médicaments. L’usage de médicaments augmenterait de 13,5 %, mais le coût total diminuerait de 2,2 milliards grâce à un meilleur pouvoir de marchandage. Les économies retourneraient aux ménages, ce qui assurerait une hausse des revenus disponibles (soit l’équivalent d’une baisse de taxes).

Trois suggestions problématiques sont faites par Mme Grammond.

1– Rendre l’assurance médicaments privée obligatoire comme au Québec ?

L’encadrement des avantages sociaux de l’employeur est une compétence provinciale, donc il est peu probable que le fédéral s’engage dans cette voie. De plus, lorsque comparé avec des pays munis d’un régime public universel, le Québec performe mal⁠3 en matière d’accès aux médicaments prescrits, mais reste le deuxième endroit parmi les plus chers au monde en ce qui concerne les coûts en médicaments par habitant (après les États-Unis). Un tel régime dans l’ensemble du Canada élèverait en fait notre facture en médicaments prescrits de 5 milliards⁠4.

2– Négocier des rabais aussi pour les régimes privés ?

Pour négocier un rabais, il faut être capable de refuser de rembourser un médicament si nous n’en avons pas pour notre argent. Les régimes privés voudraient bien obtenir les mêmes rabais que les régimes publics, mais veulent aussi se garder le droit de continuer à rembourser le médicament même si aucun rabais n’est accordé… Essayez de négocier un rabais de 60 % si la moitié des personnes que vous représentez acceptent de rembourser le médicament même sans rabais !

3– Étatiser la couverture des médicaments onéreux pour répartir le risque sur l’ensemble des Canadiens ?

Un régime d’assurance est un régime de couverture de risques. Si on élimine les risques des régimes privés d’assurance médicaments pour les refiler à l’État, la question est alors de savoir à quoi serviraient ces régimes privés. Pourquoi les maintenir (et les rendre obligatoires !) s’ils ne couvrent plus les risques liés aux médicaments ? Une couverture étatique des médicaments onéreux occasionnerait aussi une croissance importante des dépenses publiques sans toutefois générer d’économies pour la population.

Bref, ce que nous propose l’éditorial de La Presse est de payer plus cher pour créer un système inefficace en rendant les régimes privés obligatoires, en minant notre capacité à négocier de plus bas prix, tout en réclamant aux fonds publics de payer pour couvrir les risques des régimes privés…

Bref, on croirait entendre des lobbyistes de l’assurance maladie privée qui chercheraient à organiser la couverture publique selon les intérêts des compagnies d’assurance plutôt que selon l’intérêt de la population.

Toute assurance maladie gagne à mutualiser les risques sur l’ensemble de sa population par l’entremise d’un régime public universel. Peu importe ce que propose Ottawa, le Québec est capable de se doter d’un tel régime pour ses médicaments. Il n’aurait qu’à faire en sorte que les primes des régimes privés, dont le prélèvement sur les salaires est déjà obligatoire, deviennent des primes (moins élevées) pour un régime public pour tous, plus efficace et moins cher. Les primes seraient désormais moindres et les économies retourneraient aux ménages. Les employeurs pourraient continuer d’offrir une couverture complémentaire s’ils le désirent. Et si Ottawa nous propose de financer une partie des coûts tout en s’assurant que les provinces puissent ajuster la couverture selon les besoins de leur population, on ne devrait peut-être pas claquer la porte d’emblée…

1. Lisez l’éditorial de Stéphanie Grammond 2. Consultez le rapport « Une ordonnance pour le Canada : l’assurance-médicaments pour tous » 3. Consultez l’étude « Le régime public-privé d’assurance médicaments du Québec : un modèle obsolète ? » de l’IRIS 4. Consultez l’étude « Evaluating the effects of Quebec’s private–public drug insurance system » (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue