Le centenaire de Guy Rocher est l’occasion d’une rétrospective de son engagement et de sa pensée qui permet de prendre acte du sillon lumineux et fertile qu’il a tracé comme artisan des trois chantiers majeurs pour le devenir du Québec que sont l’éducation nationale, la langue nationale et la laïcité de l’État. Ce faisant, il a donné au Québec l’impulsion d’être lui-même.

Par la force de son action et sa constance sur plusieurs décennies, Guy Rocher a participé à forger le champ symbolique de la trajectoire du Québec, à façonner une conscience collective. En quelque sorte, il a permis de consolider l’inconscient collectif d’une nation démocratique qui s’émancipe. Il est rare pour un sociologue d’atteindre ainsi le matériau même de la société.

Le champ symbolique sociologique et politique

J’ai eu le privilège de le côtoyer étroitement au cours des 15 dernières années et je viens témoigner de son apport. La pierre angulaire de son engagement social et politique : agir pour le bien commun et favoriser la justice sociale, deux marqueurs du Québec.

PHOTO ALIX CASGRAIN, FOURNIE PAR L’AUTEURE

L’auteure en compagnie de Guy Rocher en 2019.

Créer un ministère de l’Éducation hors la tutelle de l’Église impliquait de promouvoir le droit au savoir pour tous, garçons et filles, et par-delà les classes sociales. Déconfessionnaliser le système scolaire québécois incarnait un esprit de justice sociale afin d’accepter la diversité des convictions religieuses et civiques au Québec. Tout ceci a sans doute permis l’avènement de la laïcité de l’État dans une loi fondamentale, ce qui solidifie le cœur de l’État et s’avère source d’égalité et de liberté pour tous les citoyens et citoyennes.

Une autre constance dans sa pensée est l’importance d’asseoir la liberté par rapport à l’autorité. « Il ne faut pas seulement être éduqué à l’autorité, il faut aussi être éduqué à la liberté », professe-t-il.

Agir pour la langue française, c’est insuffler un souffle vital à une nation minoritaire et le pouvoir de dire qui elle est. Pour le philosophe Ernst Cassirer, le système symbolique le plus important pour l’humain se retrouve dans la langue.

La contribution de Guy Rocher au débat public, que ce soit en matière de langue nationale ou de laïcité de l’État, est de faire ressortir, dans une perspective sociologique, les rapports de pouvoir sociétaux qui animent ces enjeux, que l’on ne peut réduire à une simple question de droits individuels. Il a donc permis d’élucider un juste rapport de l’individu à sa collectivité.

En symbiose avec la psyché québécoise

Je crois que ce qui rend Guy Rocher en symbiose avec la psyché québécoise, c’est l’éclectisme de sa pensée et de son parcours, intégrant à la fois la vision française et celle de l’Amérique du Nord, par ses études au Québec et aux États-Unis et ses recherches postdoctorales en France.

Conjurer le sort – trois vies en une

Mais il y a plus. Car si Guy Rocher est au diapason avec le Québec, c’est aussi par l’authenticité de sa démarche personnelle, puisque celui qui est maintenant centenaire s’est cru toute sa vie en sursis. Son destin est la métaphore d’une nation en péril.

En effet, son grand-père, Auguste Rocher, est mort à 36 ans, alors que son père était âgé de 7 ans, tandis que lui-même perdra son père, Barthélemy, à l’âge de 39 ans, alors qu’il n’a que 8 ans. Il les porte en lui, car son prénom Guy est l’anagramme condensé du centre d’Auguste et du Y de la fin de Barthélemy.

PHOTO JEAN GOUPIL, ARCHIVES LA PRESSE

Guy Rocher en 1993

C’est par sa longévité et sa vitalité hors norme qu’il a pu réussir tous ses accomplissements, car il a vécu trois vies en une, pour conjurer le sort de ses ascendants paternels. Ce fils et petit-fils d’ingénieurs a contribué à l’ingénierie du Québec. Pour un peuple menacé de disparition, son engagement hors norme et quasi séculaire est à la fois un pied de nez pour conjurer la mort et une célébration de la vie. Il incarne la possibilité de dépasser les atavismes.

Joie de l’engagement

Guy Rocher m’a transmis la joie de l’engagement, malgré les rebuffades. « L’avenir sera fait par ceux qui sont plus militants. Ceux qui travaillent à changer les choses, que ce soit par la politique ou non », observe-t-il.

Il nous lègue l’espérance et la force de se tenir debout. L’oxygène d’un Québec vivant. Le courage d’être soi, la volonté d’accepter l’autre et de faire preuve de solidarité sociale.

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