Le 6 mai dernier, après 40 ans consacrés au service du public, le chroniqueur vedette Yves Desautels a annoncé son départ à la retraite. Pendant près de quatre décennies, il a consacré ses matins et ses fins de journée à aider les automobilistes à rallier leur bureau et leur domicile avec le moins d’encombres possible.

Tous les jours de la semaine, toute l’année, deux fois par jour, par le dévouement et la voix rassurante de l’emblématique chroniqueur, nous entretenons le mirage que nous pouvons déjouer le trafic automobile qui rythme nos vies. Pendant ces quelques minutes quotidiennes, nous avons le contrôle. Un ralentissement ici, un accident là, une voiture en panne de ce côté-ci : le problème est nommé, identifié, et nous œuvrons toutes et tous pour le maîtriser.

Cette illusion, nous la vivons depuis 40 ans maintenant. Si les méthodes et les moyens technologiques ont évolué, l’objectif a toujours été le même.

Pendant quelques minutes à chaque heure, le problème n’était pas la croissance effrénée de notre parc automobile ou l’étalement urbain. Le problème, c’était tour à tour les cônes orange, les déviations, une manifestation ponctuelle, une piste cyclable, ou encore un évènement majeur dont Montréal a le secret.

Pourtant, invariablement, c’est chaque jour la même chorégraphie qui s’opère, à peine perturbée par le nouveau rythme que la pandémie et le télétravail ont instauré dans nos vies. Une lente accumulation de véhicules, jusqu’à saturer nos réseaux routiers, les paralyser, pour amorcer une lente décrue qui ne sera pas achevée au moment de changer d’émission à 9 h. Ce sont toujours les mêmes lieux qui sont concernés, les mêmes points clés de la métropole, peu importe la saison et la météo : ponts Samuel-De Champlain et Jacques-Cartier, autoroutes 15, 13, 20, 440, 640, la Métropolitaine, Décarie, Notre-Dame, Sherbrooke, etc.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Congestion routière dans la rue Notre-Dame, à Montréal

Une fois cette vaine illusion dissipée, nous attendons patiemment le lendemain pour reprendre la maîtrise du trafic automobile. Et nous rassurer dans cette douce illusion.

Moderne Sisyphe

Tel le personnage de la mythologie grecque Sisyphe, condamné par les dieux à pousser une pierre au sommet d’une montagne d’où la roche finira par retomber, forçant notre héros à recommencer sans cesse, nous sommes pris chaque matin et chaque fin de journée à tenter de déjouer le trafic automobile dans les rues du Grand Montréal, et à nous convaincre que le temps d’une chronique, ça y est, nous y sommes arrivés, enfin, à prendre le dessus sur notre dépendance à l’automobile.

Bien que le combat soit perdu d’avance, nous recommençons chaque jour, espérant par une série de bulletins radio arriver à déjouer un piège que nous contribuons nous-mêmes à façonner.

Après 40 années, nous allons perdre notre héros.

Si un autre vient à le remplacer, avec le même dévouement, la même énergie et la même voix rassurante, finirons-nous un jour par gagner ce combat contre la congestion, ou bien accepterons-nous finalement de reconnaître que la congestion, c’est nous ?

Les avancées technologiques dont nous bénéficions constamment n’y ont rien fait, bien que des moyens matériels et humains colossaux aient été déployés. Il y a peut-être là une occasion de revoir nos priorités : réallouer le temps d’antenne disponible, ou ouvrir cette chronique pour améliorer plus efficacement notre mobilité en abordant toutes les options qui s’offrent à nous pour nous déplacer.

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