Je suis gestionnaire d’entreprises agricoles depuis une vingtaine d’années. Comme pour mes collègues, 2023 a été une très mauvaise année financière où d’autres facteurs ont aussi exacerbé notre stress.

Le 5 avril dernier, mon mari et mes collègues manifestaient. De mon côté, je pesais la détresse annoncée et je me questionnais sur ses causes et solutions. J’en suis arrivée à la conclusion que nous ne possédons pas de vision d’avenir concertée pour l’agriculture au pays.

Nous avons évidemment des plans d’agriculture durable, mais au Québec, ils ne s’attaquent pas aux questions agronomiques ni aux enjeux économiques, sociaux ou de gouvernance, mais plutôt aux questions environnementales, alors que les autres enjeux sont au cœur du mal-être en agriculture. Par ailleurs, tous ces concepts ne sont pas mutuellement exclusifs et il y a possibilité de créer des synergies.

Je vous vends déjà la mèche, présentement, les avancées, même environnementales, sont dérisoires. Les demandes de la relève agricole sont les mêmes depuis 50 ans. Les politiques agricoles ne sont pas un moteur de prospérité.

Au Québec, le ministère de l’Agriculture reçoit moins de 1 % du budget. Une portion est transférée aux municipalités pour subventionner les impôts fonciers depuis que le fardeau de la sécurité civile leur a été confié. Une autre partie est versée aux agronomes qui se penchent sur les enjeux environnementaux et servent le ministère de l’Environnement. Le reste peut être versé à l’agriculture, après avoir aussi subventionné le travail des agronomes, permettant alors aux agriculteurs d’avoir accès à l’enveloppe budgétaire destinée à leur secteur. Est-il surprenant que nous n’ayons que très peu de résultats concrets ?

Le défi de la main-d’œuvre

Saviez-vous qu’il n’existe à peu près aucune formation destinée à former de la main-d’œuvre agricole au Québec ? Les formations offertes visent les futurs propriétaires d’entreprise ou des postes de conseillers. L’agriculture a tout de même relevé le défi de la main-d’œuvre à travers l’accueil d’employés internationaux, mais les délais sont de plus en plus erratiques, les démarches se multiplient et j’en passe…

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Les agriculteurs ont exprimé leur « mal-être » à Saint-Jean-sur-Richelieu, le 5 avril.

La pénurie date d’une quinzaine d’années. Quelle preuve reste-t-il à fournir de la nécessité d’engager des travailleurs étrangers ? Et ce, sans parler du certificat d’acceptation du Québec pour un travailleur qui ne s’établira pas ici. Pardon, j’oubliais le visa de travail. En plus, ces travailleurs sont entièrement pris en main par l’employeur et n’ajoutent pas de charge à l’État.

Je pourrais poursuivre l’illustration du malaise jusqu’à remplir toutes les pages de ce journal. Mais ces exemples suffisent à démontrer que le domaine agricole se mobilise pour aborder les enjeux quand il en a le pouvoir. Malheureusement, les mécanismes de gouvernance actuels nuisent à notre prospérité.

L’agriculture au Québec se planifie de façon réactive, en silos et sans objectif agronomique collectif. Nous sommes soumis à la multiplication des paliers de réglementation, et pas seulement de la part des instances publiques, mais également de nos fédérations respectives où la même réflexion est de mise.

« L’agriculture nourrit le monde. » Cette mission primordiale est aujourd’hui compromise. Pour la mener à bien, nous devons nous doter d’une vision d’avenir ambitieuse et nous donner les moyens de la réaliser.

J’invite donc nos élus à s’engager dans un chantier de revalorisation de l’agriculture en se penchant sur les questions d’avenir que sont la lourdeur de l’État, la disponibilité de la main-d’œuvre, le salaire et la responsabilité des agriculteurs eux-mêmes, l’autonomie alimentaire et la réciprocité à l’importation, la productivité à travers les changements climatiques, la robotisation, l’intelligence artificielle et la propriété des données, le potentiel de la bio-ingénierie, sans oublier l’éducation de la population sur la réalité de ces enjeux afin que l’information disponible permette aux gens de faire des choix éclairés.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue