La Semaine d’actions contre le racisme et pour l’égalité des chances (SACR), qui se déroule du 21 au 31 mars, a pour principal objectif de prévenir et combattre l’exclusion basée notamment sur la couleur de la peau, l’origine ethnique ou nationale.

La SACR vise aussi à diriger les projecteurs sur certains enjeux pour sensibiliser les gouvernements et les institutions afin de trouver des solutions. Mais une question relative à ces problématiques passe souvent sous le radar : la discrimination par l’accent.

Notre accent découle de notre milieu socio-économique, de notre environnement linguistique et culturel et de notre éducation. C’est pourquoi les gens sont enclins à nous attribuer toutes sortes de caractéristiques en se basant uniquement sur la façon dont nous nous exprimons.

Couramment, on dira de la personne qui a un accent différent du nôtre qu’elle a un accent, comme s’il y avait supposément une prononciation sans accent et une autre avec accent. Mais il ne faut pas se méprendre : on possède tous un accent.

L’accent est parfois stigmatisé en société et peut souffrir de représentations biaisées. Si certaines personnes entretiennent des préjugés négatifs, d’autres lui trouvent du charme.

La sonorité de l’italien est souvent vue comme romantique. En revanche, dans l’imaginaire collectif, les langues russe et allemande peuvent être perçues comme menaçantes, notamment pour des raisons sociopolitiques ou historiques. Les représentations biaisées existent aussi au sein d’une même langue.

C’est le cas du français. Celui de la France est souvent considéré comme étant le modèle standard, et toutes les autres variétés comme des dérivés. Rappelons-nous le tollé qui a suivi l’adaptation en français de la balado canadienne Alone, A Love Story, pour laquelle CBC Podcasts a préféré les services d’un studio parisien plutôt que l’expertise d’ici, notamment parce que l’accent québécois aurait moins de potentiel international⁠1.

Quand on rencontre d’autres groupes distincts, il est possible de prendre un autre accent, soit par mimétisme, par choix ou par exposition à long terme. Peut-être avez-vous noté que vous « reprenez votre accent » quand vous retournez dans votre patelin ?

La pression sociale peut aussi faire évoluer les accents avec le temps. Beaucoup de gens changent naturellement d’accent en fonction de l’image qu’ils aimeraient projeter, dans le but de pallier l’insécurité linguistique qu’ils ressentent. Il arrive que certaines personnes aient honte de leur accent au point de vouloir l’éliminer.

La propension à vouloir changer son accent, surtout pour des motifs professionnels, peut certainement s’expliquer par le fait appuyé par de nombreuses études scientifiques que les accents étrangers peuvent faire naître des jugements défavorables⁠2.

Des études révèlent que les experts qui s’expriment avec un accent étranger sont jugés moins crédibles. Généralement, les gens ont un préjugé favorable envers les personnes aux antécédents linguistiques et culturels similaires aux leurs.

Minorité audible

Si une personne parle avec un accent étranger, son interlocuteur aura tendance à juger ses propos avec moins de confiance qu’il ne le fera à l’égard d’une personne de son propre groupe de référence. D’autres études révèlent également que l’accent de notre interlocuteur peut influencer notre réponse empathique à son égard.

Ces phénomènes renvoient à l’accentisme, une forme de discrimination fondée sur l’accent. On connaît bien le concept de minorité visible, mais moins celui de minorité audible. Notre cerveau est sensible à la différence. Les accents ne font pas exception, ils sont porteurs de biais inconscients.

Les personnes qui ont recours à des services en modification d’accent le font souvent pour gravir les échelons ou améliorer leur compétitivité lors d’entrevues d’embauche. Les employeurs recherchent un candidat ou une candidate qui a « un français parfait », mais confondent la grammaire et la qualité du français du point de vue de l’accent, et créent ainsi une barrière à l’emploi pour les accents « non standards ».

Des entreprises qui exploitent des centres d’appel ont recours à l’intelligence artificielle pour transformer en temps réel l’accent de leurs employés, afin qu’il s’ajuste à celui de l’interlocuteur au bout du fil.

Ce n’est pas de la science-fiction. C’est le cas de Sanas AI, une société californienne dont la technologie permet d’ajuster le son d’un locuteur dans le but de masquer les accents des employés⁠3. Même si l’objectif est de réduire la discrimination et de faire en sorte que l’interlocuteur veuille engager la conversation avec l’employé, il reste que c’est la diversité qui est en train de disparaître. Il en découle une déshumanisation.

Les médias ont développé un rôle essentiel dans le développement d’une « norme » en matière d’accents. Certains accents y sont moins présents, voire absents. Avez-vous déjà entendu à la télévision ou à la radio une publicité en français énoncée avec un accent hispanophone ou haïtien ? Quand on entend un accent autre que celui auquel on est habitué, c’est souvent dans un contexte stéréotypé.

Des œuvres cinématographiques comme Black Panther, à travers lesquelles l’accent africain n’est plus caricaturé, donnent espoir. J’ai la profonde conviction que si l’on entendait une plus grande variété de voix et d’accents dans l’espace public, nos oreilles s’habitueraient, et nos biais s’amenuiseraient.

La mixité qu’on voit dans nos milieux scolaires n’est pas pleinement reflétée sur les scènes, à la télévision, au cinéma ou à la radio. À quand la normalisation de l’utilisation d’accents divers dans les médias et une représentation plus juste des minorités audibles ?

1. Lisez « Un balado de CBC Podcasts traduit en français… à Paris pour éviter l’accent québécois » 2. Lisez « Les gens font moins confiance aux personnes qui ont un accent » 3. Lisez « États-Unis : l’intelligence artificielle pour masquer les accents » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue