Se faire traiter de « sale guenon brune » pendant qu’elle promène sa petite fille sur le mont Royal, par une belle journée d’automne. Se faire demander constamment d’où elle vient « vraiment » quand elle dit qu’elle est de Montréal. Dans le racisme que vit le personnage de Rani, jeune femme d’origine indienne qui a grandi au Québec – et héroïne du roman Une convergence de solitudes –, on devine qu’il y a beaucoup du propre vécu d’Anita Anand.

Peut-être par pudeur, l’autrice se contente de répondre simplement par l’affirmative quand on lui pose la question, avant de s’échapper dans ses pensées. « Tu as l’impression que tout va bien et tu te promènes, comme dans un rêve, et puis quelqu’un vient le fracasser », dit-elle tout doucement.

Peu importe qu’elle soit aussi à l’aise en français qu’en anglais, Anita Anand nous raconte comment les préjugés sont tenaces. Ça commence avec cette voisine qui continue à lui dire qu’elle ne peut pas comprendre certaines choses parce qu’elle n’a pas grandi ici – alors qu’elle lui répète qu’elle est née à Montréal. Puis ça arrive ponctuellement avec ces gens qui pensent qu’elle est une sorte d’encyclopédie vivante de l’Inde, alors qu’elle n’y est allée qu’une fois, avec son père, quand elle était enfant.

Ils ne me voient pas ; ils voient cette autre représentation de quelque chose. Ils regardent ma couleur de peau et ils décident que, même si je leur parle avec cet accent, je sais tout de l’Inde. C’est réducteur. Je ne parle même pas pendjabi parce que mes parents trouvaient que ça désavantagerait leurs enfants de parler dans cette langue.

Anita Anand, autrice

Questionnements identitaires

Une convergence de solitudes explore la notion complexe d’identité en l’abordant sur tous les fronts, et c’est ce qui fait sa grande force. C’est un roman qui se trouve à la croisée de Là où je me terre, de Caroline Dawson (qu’Anita Anand a traduit en anglais l’an dernier), de L’héritier, de Michael Gouveia (qu’elle est en train de lire), et de Hotline, de Dimitri Nasrallah – avec la particularité qu’il rassemble tous ces points de vue sur l’immigration, et bien plus.

À travers une galerie de personnages unis par leurs solitudes respectives, Anita Anand réussit à nous montrer que peu importe d’où on vient et la langue qu’on parle, on cherche tous la même chose, au fond : une petite place à soi dans ce vaste monde.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Anita Anand

Il y a Rani, qui ne se sent ni indienne ni vraiment canadienne. Il y a Mélanie, une fille adoptée du Viêtnam qui incarne également, à sa façon, les questionnements identitaires d’Anita Anand, qui avoue avoir toujours partagé avec les personnes adoptées ce sentiment de ne jamais trouver sa place nulle part. Il y a aussi ces parents qui ont immigré au Québec après avoir vécu la violence de la partition de l’Inde ; puis, à l’opposé, ce chanteur vedette qui est une figure de proue du mouvement indépendantiste des années 1970 et qui vient jouer un rôle central tout au long du récit – double parfait de Serge Fiori.

Besoin d’écrire

C’est un roman kaléidoscopique qui se déroule sur plusieurs décennies, sur fond de référendums, et qui suit les quêtes de ces personnages sans jamais les juger. « Je n’écris pas avec l’intention d’être didactique ou de faire passer un message. J’écris ce que j’ai besoin d’écrire », insiste Anita Anand.

Son livre précédent, le recueil de nouvelles Swing in the House and Other Stories (qui a notamment remporté un prix de l’Université Concordia), rassemblait des histoires inspirées du racisme qu’elle a subi quand elle était adolescente. Car sous la surface, il y a toujours en elle « quelque chose qui bout », du moins juste assez pour émerger de nouveau à un moment ou à un autre, confie-t-elle.

Depuis qu’elle a lâché l’enseignement, quand elle n’écrit pas, Anita Anand cherche des textes qui l’inspirent à traduire. En plus de Caroline Dawson, elle a déjà traduit des autrices québécoises comme Juliana Léveillé-Trudel et Fanie Demeule, toujours à jongler entre ces deux langues qui font toutes les deux partie de son identité. Sa façon, bien à elle, de rassembler les solitudes qui l’ont vue grandir.

« La définition même d’un coup de cœur »

Une convergence de solitudes a été publié à l’origine en anglais, en 2022, dans une maison d’édition torontoise ; il serait peut-être passé inaperçu dans la Belle Province si ce n’était l’auteur et traducteur Daniel Grenier – même s’il n’y a pas plus québécois que ce roman-là, selon lui. C’est tout à fait par hasard qu’il est tombé dessus dans la section anglophone de la librairie Pantoute, à Québec, alors qu’il cherchait un projet de traduction. « J’ai flashé sur le titre et sur la couverture de la version anglaise. Puis je l’ai lu. C’était la définition même d’un coup de cœur. Puis je l’ai fait lire à Maxime Raymond [le directeur littéraire des Éditions de Ta Mère] et, pour lui aussi, ç’a été instantané. Pour moi, ça fait partie des quelques œuvres anglophones qui, paradoxalement, m’ont aidé à mieux comprendre le Québec. »

Une convergence de solitudes

Une convergence de solitudes

Éditions de Ta mère

448 pages