Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Ann-Marie MacDonald ne fait pas les choses à moitié.

La romancière aime bien dire qu’au terme de ses recherches pour l’écriture de son quatrième et tout nouveau roman, Fayne, elle aurait pu se qualifier pour être gynécologue à l’époque victorienne et probablement ouvrir son propre asile pour femmes souffrant de troubles nerveux.

« Ma mère disait toujours : ‟Fais de ton mieux, puis fais encore mieux” », confie-t-elle en sirotant son café dans un petit troquet du Quartier des spectacles.

Que ce soit en tant qu’écrivaine, dramaturge ou comédienne, Ann-Marie MacDonald a toujours visé haut – mais sans jamais être perfectionniste, note-t-elle. Et ces standards élevés lui ont valu de nombreuses reconnaissances au fil des années, dont un prix du Gouverneur général pour l’une de ses pièces et un succès international depuis la publication (en 1996) de son premier roman, Un parfum de cèdre, qui avait obtenu la consécration ultime en figurant dans les choix du prestigieux Oprah’s Book Club.

Le regard perdu entre les bâtiments de cette ville qu’elle a adoptée il y a 10 ans, après avoir quitté Toronto avec sa femme et leurs deux filles, Ann-Marie MacDonald mêle la langue de Shakespeare à celle de Molière pour évoquer l’héritage de cette mère dont elle a dû faire le deuil durant l’écriture de Fayne. Une mère d’origine libanaise qui a grandi à l’île du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, et qui lui a appris à écrire comme on reçoit – c’est-à-dire avec générosité.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Ann-Marie MacDonald

Et c’est justement cette générosité dans l’écriture qui lui a permis de donner naissance, au bout de cinq ans de travail acharné, à ce grand roman qui réussit à rester captivant tout au long de ses 800 pages meublées de rebondissements complètement inattendus.

Au pays des sœurs Brontë

Le « Fayne » du titre est un vaste domaine dans les landes, à la frontière entre l’Écosse et l’Angleterre. Une terre qui est en soi le personnage principal du roman, à son avis. « Je suis allée plusieurs fois en Écosse [d’où est originaire son père], avant et durant l’écriture. Le livre se situe dans un paysage victorien, gothique, brontësque, et j’adore ce paysage parce qu’il me rappelle le Cap-Breton de mes parents, dit-elle avec émotion. Et je pense que mon héritage mixte est l’élément vital de ce livre qui se déroule dans les îles britanniques. »

Le roman nous transporte au pays des sœurs Brontë, et Ann-Marie MacDonald parvient à nous le faire sentir à travers les moindres détails : dans l’évocation des vastes landes, des demeures froides aux allures fantomatiques, de cette retenue dans les sentiments que les personnages se doivent d’afficher, dans les interdits et les préjugés qui frappent les femmes de l’époque.

C’est dans ce contexte que grandit Charlotte Bell, orpheline de mère et couvée par son père qui l’a isolée durant toute son enfance en raison de ce qu’il appelle sa « condition ». À son 12e anniversaire, il lui offre un précepteur, convaincu que sa santé lui permettra désormais d’obtenir une éducation habituellement réservée aux garçons, mais qu’il lui concède en raison de son intelligence hors du commun. Mais le passé de Charlotte et de la famille Bell est peuplé de fantômes qui finiront par sortir de l’ombre comme une succession de poupées russes.

J’adore faire des recherches, en particulier sur l’histoire des sciences. Je suis comme un détective. Parfois, il y a une personne ou un livre obscur, ou simplement un sentier sinueux qui vous conduit à une délicieuse pépite d’information.

Ann-Marie MacDonald

Ses recherches l’ont menée sciemment vers des travaux sur le genre et l’identité anatomique, qui lui ont permis de construire des personnages d’une grande complexité. Et d’aborder, ainsi, la question – très contemporaine – de l’identité sexuelle dans un roman historique situé au XIXe siècle, ce qui se révèle en soi être un véritable exploit.

« Pour moi, c’était un plaisir d’écriture. Je suis entrée dans un monde qui ressemble à un garde-robe – un atelier de costumes, comme on dit au théâtre – ou un coffre à jouets. Et j’emmène les lecteurs dans ce voyage. Mon travail est de créer cette expérience immersive et de permettre aux lecteurs de la vivre. Et il y a cette envie irrépressible en moi de divertir, parce que si vous payez 40 $ pour le livre, vous devriez vraiment avoir un bon moment de lecture. »

À de nombreuses reprises pendant l’écriture de Fayne, Ann-Marie MacDonald avoue s’être même fait berner par les mensonges de ses personnages, tant son roman comprend de fils qui se croisent et s’enchevêtrent avant de nous mener à son incroyable dénouement. Au point qu’elle a dû s’asseoir et rédiger des fiches pour chacun des personnages pour réussir à se glisser dans leur peau sans perdre le fil. Mais c’était important, pour elle, de toujours prendre en considération la perspective de chacun d’entre eux – puisque personne n’est « juste une chose », à son avis.

« Plutôt que de présenter un certain angle, tout en sachant que ce n’est pas toute l’histoire, ajoutons quelques lentilles. Soyons plutôt comme une libellule. Nous avons besoin d’yeux composés pour voir beaucoup, beaucoup de choses, et en faire un seul monde », dit-elle avec conviction.

Fayne

Fayne

Flammarion Québec

800 pages