Le 5 mars dernier, je prenais connaissance d’un article scientifique paru récemment dans The Lancet, revue académique faisant souvent référence dans le champ de la santé. Selon l’étude qui y était décrite1, le privé en santé, au mieux, ne semble apporter aucun bénéfice significatif sur la qualité des soins reçus par la population. Et au pire, il a des effets délétères sur les différents indicateurs qui ont été évalués.

Les auteurs, établis au Royaume-Uni, sont ainsi allés fouiller dans la littérature scientifique internationale pour mesurer les effets de la privatisation des services de santé sur la qualité des soins reçus par la population. On y retrouve des études portant sur différents pays d’Europe, ainsi que sur les États-Unis et le Canada. S’ils ont constaté que peu d’études existent encore à ce jour sur le sujet, le tableau qu’ils parviennent déjà à dresser n’en reste pas moins frappant pour le lecteur. Et ce sont des constats qui méritent d’être plus largement partagés, tant les implications semblent importantes.

Quels sont les indicateurs qui sont considérés ici, plus précisément ? Au cours de leur démarche, les auteurs ont pris en compte l’état de santé des personnes (p. ex. : l’évolution du nombre de décès évitables, du taux d’infection dans les milieux de soin), les conditions d’emploi et de travail du personnel, l’accessibilité des services, et finalement, la performance financière des établissements de santé.

Sur toutes ces dimensions, le recours à des prestations assurées par le secteur privé a eu tendance à avoir des répercussions négatives, comparativement aux établissements restés sous le giron du réseau public local.

Si cette démarche de recherche n’est pas exempte de limites, elle s’inscrit dans un processus essentiel d’évaluation des retombées de la privatisation du système de santé. L’intérêt scientifique porté à ces questions doit être encouragé, tant cela sert à orienter des choix de société qui sont tout sauf anodins. En gravitant dans la sphère académique, j’ai un accès privilégié à ces données scientifiques. Toutefois, ces dernières devraient être davantage accessibles, vulgarisées, le tout en direction des décideurs politiques, mais également du grand public, pour éclairer avec justesse les décisions qui concernent la collectivité.

La teneur des informations ici mentionnées remet aussi plus largement en question la crédibilité des discours vantant la privatisation comme solution aux failles du réseau public, si ceux-ci ne s’appuient pas sur des données scientifiques comprenant des indicateurs pertinents.

Lorsque l’on façonne l’organisation des services, on ne peut pas faire l’économie de s’intéresser aux répercussions de ces choix stratégiques sur la qualité des soins reçus par la population.

Ces données viennent enfin, et c’est significatif, appuyer les témoignages de personnes, à proximité du « plancher », s’inquiétant publiquement, et ce maintenant depuis des années, de la part grandissante que l’on accorde au privé en santé au Québec2,3,4,5,6. Celles-ci partagent par exemple leur crainte que cela ne mène à créer un système laissant encore plus de côté les personnes les plus vulnérables. Et se reposer à corps perdu sur le privé comme sauveur miraculeux du système de santé, c’est aussi prendre le risque d’aggraver les faiblesses du réseau public7.

Pour conclure, j’ai un réel attachement à l’idée d’un service public, réel bien collectif, à qui on doit donner les moyens de remplir sa mission auprès de la population. C’est ce qui a en partie motivé ma décision d’écrire ces lignes, en tant que chercheur et citoyen. Continuer à voir la santé comme une dépense lourde et coûteuse à court terme, une charge que l’on peut sans problème donner au privé, c’est une erreur majeure qui finira par nous coûter à tous, au bout de la ligne, encore plus.

1. Pour prendre connaissance de l’étude (en anglais)

2. L’article de Lia Lévesque, « On a besoin de plus de monde, disent des syndicats » (24 janvier 2024)

3. La lettre d’opinion de Lucie Lamarche et Nicole Filion, « Le besoin de re-poser les termes du débat » (12 juin 2023)

4. L’article d’Ugo Giguère, « Des médecins en faveur du régime public écartés des consultations » (5 mai 2023)

5. La lettre d’opinion de Jacques Ricard, « Déshabiller Pierre pour habiller Paul » (21 janvier 2023)

6. La lettre d’opinion de Réjean Hébert, « Encore le mirage du privé en santé » (7 septembre 2022)

7. L’article d’Isabelle Hachey, « Le public, le privé et le bénévolat à 500 000 $ » (3 mars 2024)