Dans la chronique de Francis Vailles du 9 mars dernier⁠1, des membres du personnel scolaire (compris ici comme les enseignants, travailleurs sociaux, etc.) « attribuent aux parents la responsabilité de l’alourdissement des classes au primaire ».

Ouf. Je me sens interpellée, car mes études portent sur le phénomène du surdiagnostic et de la surmédication et j’ai interviewé des enseignantes et des mères sur le sujet. J’aimerais revenir particulièrement sur deux citations : 1) « L’incompétence parentale est l’éléphant dans la pièce, que personne n’ose regarder » ; 2) « Le surdiagnostic est une conséquence des problèmes de coparentalité », qu’il faut comprendre ici comme provenant des parents séparés.

Mises ensemble, ces deux affirmations montrent du doigt les parents, spécialement des familles non intactes, comme principale cause du surdiagnostic et de la surprescription durant l’enfance.

Je ne suis pas surprise des témoignages publiés dans l’article, mais je trouve profondément injuste et simpliste de 1) promouvoir l’association parent/parentalité et surdiagnostic/surprescription et 2) prendre une corrélation pour une causalité comme le font les gens qui témoignent. Par ailleurs, tant que les membres du personnel scolaire se dégageront de leur part de responsabilité, le problème persistera.

Une longue tradition

D’un point de vue sociohistorique, ces citations ne font que s’inscrire dans une longue tradition de récriminations envers la famille, souvent ciblée comme LA cause des problèmes sociaux. Les racines sont profondes. Au début du XXe siècle, le progrès social se concevait comme relevant de la bonne parentalité : les parents, en élevant de meilleurs enfants, permettraient à la société d’évoluer. Les parents devenaient alors la cible d’une éducation parentale et d’une surveillance accrue de la part de l’État et des experts de l’enfance.

La situation n’a fait que persister et se renforcer depuis que les enfants sont au cœur de la famille, ce qui amène une pression et un stress important chez les parents comme le montre la récente Enquête québécoise sur la parentalité2. Autre exemple, dans les années 1980, plusieurs auteurs pointent le déclin de la famille nucléaire, la hausse des divorces et l’absence du père comme explications à la délinquance, à la sexualité précoce, à l’abus de substances et autres problèmes des jeunes. Plusieurs études démentent cette causalité et montrent plutôt que ces problèmes sont liés à des facteurs socioéconomiques, éducatifs et politiques. Nous avons la fâcheuse habitude de décontextualiser et d’individualiser les problèmes sociaux.

Les membres du personnel scolaire ont une lourde tâche, qui s’est accrue ces dernières années. Il faut les soutenir, mais émettre l’hypothèse que les parents créent la surcharge ne permet pas de tenir compte de la complexité réelle du phénomène.

Plusieurs études scientifiques montrent l’école comme un acteur important, voire un catalyseur, dans le phénomène du surdiagnostic et de la surmédication durant l’enfance. Outre le système d’éducation, plusieurs autres institutions et acteurs sociaux sont impliqués dans la construction du problème : le système de santé, l’État québécois, les parents, même les médias.

Il faut arrêter de se renvoyer la balle. Montrer du doigt des coupables triés sur le volet ne réglera rien tant que tous ceux concernés par l’enfance ne s’incluront pas dans l’équation. Pour le bien-être des enfants, ils doivent réfléchir à la complémentarité de leur responsabilité dans la promotion des diagnostics de l’enfance et cesser de penser que la médication est une solution aux problèmes sociaux. Et ce n’est pas en tapant sur la tête des parents et en jugeant leurs pratiques parentales de manière décontextualisée que nous serons productifs.

1. Lisez « Nos enfants sont-ils plus difficiles qu’ailleurs ? (2) » 2. Consultez l’Enquête québécoise sur la parentalité Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue