Les parents. Plusieurs des nombreux lecteurs qui ont réagi à ma récente chronique attribuent aux parents la responsabilité de l’alourdissement des classes au primaire1.

Les lecteurs dont je vais vous parler ne sont pas des critiques déconnectés, mais des enseignantes d’expérience et des travailleuses sociales. Elles ne parlent pas de tous les parents, bien sûr, mais d’une proportion importante, plus grande qu’il y a quelques années.

Ces parents sont soit débordés par le travail, soit anxieux de ne pas voir leurs enfants atteindre rapidement certaines normes, soit aux prises avec une garde partagée tendue2. Entre autres.

« L’incompétence parentale est l’éléphant dans la pièce, que personne n’ose regarder », me dit un enseignant au secondaire, qui a aussi été directeur au primaire, entre autres, durant ses 22 ans de carrière.

Selon une travailleuse sociale qui intervient auprès d’enfants de 6 à 15 ans, le surdiagnostic est une conséquence des problèmes de coparentalité, notamment, donc du manque de cohésion dans l’encadrement de base.

« Les parents ne vont pas bien. Les mères sont surchargées lorsqu’elles travaillent et les pères sont plus ou moins impliqués auprès des enfants. Les familles sont éclatées. Les parents n’ont plus l’énergie pour encadrer les enfants et laissent les enfants devant les écrans », me dit cette travailleuse sociale qui, comme la plupart, demande l’anonymat, car elle n’est pas autorisée à parler publiquement.

Cette travailleuse sociale agit auprès d’enfants qui ont des déficits d’attention, de l’hyperactivité, des troubles du spectre de l’autisme ou des troubles du développement et de la coordination, entre autres.

« Éduquer des enfants prend du temps et de l’énergie. Les parents veulent que l’école éduque leurs enfants, mais ce n’est pas le rôle de l’école, qui est celui d’instruire, mais des parents », m’écrit-elle.

Le témoignage d’Élise Prévost, enseignante depuis 13 ans, va dans le même sens.

La déresponsabilisation des parents et leur manque de disponibilité ont un impact énorme. Quand le gouvernement remarque que les enfants ne se brossent pas assez les dents, on demande aux CPE de le faire, plutôt que de responsabiliser les parents.

Élise Prévost, enseignante

« Quand les jeunes ne jouent pas assez dehors ou ne font pas assez de sport, ce sont les récréations à l’école qui sont prolongées ou les périodes d’éducation physique, plutôt qu’une sensibilisation des parents », poursuit l’enseignante.

Moins de bricolage, plus d’écrans

Une autre lectrice, enseignante au secondaire qui a elle-même deux enfants, juge que les parents devraient s’interroger sur leurs pratiques.

« Combien d’heures votre enfant dort-il par nuit ? Combien d’heures de sport fait-il par semaine ? Combien d’heures passe-t-il devant un écran (cellulaire, jeux vidéo, réseaux sociaux) ? Combien de kilomètres marche-t-il ? Combien d’heures passe-t-il hors de la maison (école et service de garde) ? Combien d’heures de lecture fait-il ? Combien de soupers en famille faites-vous par semaine ? »

Une autre enseignante, qui travaille au primaire depuis 30 ans, affirme que la situation s’est dégradée ces dernières années, peu importent les milieux scolaires qu’elle a fréquentés. Elle constate qu’il y avait moins de cas de troubles de langage à ses débuts, ce qu’elle attribue à la présence plus grande de la technologie aujourd’hui.

« Les enfants sont moins stimulés par les parents. Les passe-temps à la maison ne sont plus les mêmes. Lire, dessiner, colorier, bricoler, faire des jeux de rôles : ces activités favorisaient le développement de la motricité fine et la communication. Les parents branchés en permanence sur leur cell parlent beaucoup moins à leurs enfants », dit cette enseignante, qui remarque tout de même qu’on décèle des cas aujourd’hui qu’on ne diagnostiquait pas autrefois, notamment pour un trouble dans le spectre de l’autisme.

« J’ai vu un changement s’opérer quand les services de garde ont fait leur entrée dans les écoles. Des enfants sont stationnés à l’école de 7 h à 17-18 h, avec le dîner et la collation de la fin des classes à leur bureau. L’école n’est plus vue comme un lieu d’apprentissage, mais une grosse garderie », ajoute-t-elle.

Dépistage précoce : des effets pervers

Une autre travailleuse sociale au secteur jeunesse affirme, au contraire, que certains parents s’en font inutilement. Elle le constate avec le mode de dépistage précoce, notamment le programme Agir tôt 0-5 ans, qui a des effets pervers, selon elle.

Combiné à l’anxiété des parents de ne pas avoir un enfant parfait, ce genre de programme pousse à la surconsultation, ce qui a pour effet d’engorger le système de jeunes enfants qui cheminent pourtant normalement.

« On ne laisse plus les enfants être des enfants. Et on ne permet plus aux parents de développer leur gros bon sens. On leur donne plutôt, dès la naissance de leur enfant, des standards à atteindre. Et on s’étonne du résultat. »

Ces récriminations du milieu scolaire à l’endroit des parents ne sont pas nouvelles. Et il est difficile de savoir si la situation du Québec diffère de celle des autres provinces. Le taux d’emploi plus grand au Québec qu’ailleurs chez les 25-44 ans (87 % contre 84 % en Ontario), qui se traduit par des situations où les deux parents travaillent à plein temps, a-t-il un effet ?

Il reste que le rôle des parents est crucial et rempli de défis. Il faut savoir encadrer, savoir influencer, savoir imposer le dodo, savoir quand faire preuve de souplesse (ou pas), savoir piler sur son orgueil, savoir accepter les différences de son rejeton, savoir développer ses particularités, savoir valoriser, savoir être patient, savoir communiquer, savoir transmettre les valeurs… bref, savoir aimer.

Captivant, mais pas facile d’être parent.

1. Lisez la chronique « Nos enfants sont-ils plus difficiles qu’ailleurs ? »

2. Les lettres des lecteurs ont été abrégées et synthétisées par souci de concision, de clarté et de cohésion.

Rectificatif sur le taux de TDAH

Dans ma chronique du 4 mars sur le sujet, il était écrit que 27 % des 10-12 ans du Québec prenaient des psychostimulants liés au TDAH en 2017, comparativement à 10 % dans les autres grandes provinces (5). Les proportions sont plutôt de 14 % et 5 %, respectivement. Mea culpa pour avoir mal interprété un tableau de l’étude.