À l’occasion, Dialogue invite une personnalité à faire connaître son point de vue sur un enjeu ou une question qui nous touche tous. La journaliste et animatrice Noémi Mercier s’intéresse aujourd’hui aux conséquences du confinement, toujours présentes quatre ans après le début de la pandémie.

Ce que nous avons vécu, des mois durant, était contre nature. Se tenir à distance des êtres aimés, refuser leurs étreintes, même dans le deuil. Toiser avec une froideur nouvelle les gens qu’on croisait dans la rue. S’aventurer dans les lieux publics avec la vigilance d’un évadé de prison, en s’efforçant d’éviter les contacts humains. Apprendre à se méfier de l’autre, à le craindre, à lui tourner le dos.

Puis, imperceptiblement, nous nous sommes adaptés. L’hibernation forcée est devenue (pour les plus privilégiés d’entre nous) presque douillette. À mesure que notre vie sociale se contractait, nos muscles affectifs se sont engourdis, atrophiés. Et on dirait qu’ils ne se sont jamais entièrement rétablis.

Quatre ans après le grand confinement et deux ans après la fin des restrictions sanitaires, sommes-nous réellement déconfinés ?

On aurait pu s’attendre à ce que la levée des interdits donne libre cours à un regain de sociabilité. Enfin ! nous allions renaître, rattraper les fêtes annulées, repriser les amitiés endommagées, et ne plus jamais nous priver de la joie d’être ensemble.

Or, un peu partout dans le monde, des chercheurs qui ont examiné les contrecoups de la pandémie ont constaté ceci d’étonnant : nous ne sommes pas tout à fait sortis de notre coquille.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Des études montrent que bien que le confinement soit terminé, bien des gens ont du mal à réapprivoiser la vie en société.

Selon une compilation de 33 études réalisées dans 11 pays sur trois continents, la crise a eu pour effet d’exacerber l’anxiété sociale, autant chez les adultes que chez les enfants et les adolescents⁠1. Aussi appelé phobie sociale, ce trouble est une sorte de timidité maladive qui se caractérise par la peur des situations où l’on risque de s’exposer au regard et au jugement d’autrui, avec pour conséquence qu’on préfère les éviter.

Le déconfinement n’a pas soulagé ce mal-être ; il l’a même parfois avivé. Après tous ces mois passés à l’abri du monde, nombre d’entre nous ont eu du mal à réapprivoiser la vie en société.

Par exemple, des travaux menés en Australie, au Royaume-Uni et aux États-Unis ont montré que l’anxiété sociale s’est intensifiée, en particulier chez les jeunes adultes, à mesure que les règles sanitaires se sont assouplies⁠2. Au Portugal, les adolescents étaient plus renfermés sur eux-mêmes après la réouverture des écoles (qui ont été fermées là-bas pendant plusieurs mois) qu’avant la pandémie⁠3.

Bien sûr, la tendance au retrait social était déjà bien amorcée dans nos sociétés avant que la COVID-19 ne vienne l’affermir⁠4. Mais certains spécialistes sont persuadés qu’on a aujourd’hui affaire à une forme de repli sur soi propre à l’après-COVID.

Un duo de professeurs de psychologie (un Italien et un Américain) a même conçu un nouveau terme pour décrire le phénomène : le « syndrome de désengagement pandémique », un bouquet de symptômes qui conjugue l’évitement social et un sentiment d’aliénation.

Ces « désengagés » sont mal à l’aise dans les lieux publics, ils fuient les foules et les interactions en personne, préférant les échanges virtuels et le confort de leur foyer.

Mais ce n’est pas juste physiquement qu’ils gardent leurs distances. C’est intérieurement qu’ils ont décroché, de leurs proches, de leurs projets, de la vie quotidienne. Ils se disent paralysés, démotivés ; ils n’ont plus envie de voir leurs amis ou leur famille autant qu’avant, ils se sentent loin d’eux, déconnectés ; ils se demandent s’ils arriveront un jour à rebâtir leurs relations.

Après avoir étudié différents bassins de population, aux États-Unis, en Italie, en Norvège et en Suède, les chercheurs affirment, dans leur article publié dans la revue Psychological Assessment⁠5, que ce vague à l’âme pourrait persister chez certains d’entre nous bien au-delà des phases aiguës de la pandémie.

Peut-être avons-nous sous-estimé à quel point le virus nous a transformés.

Comme une articulation restée longtemps dans le plâtre, qui craque et qui coince lorsqu’elle se remet à bouger, nos habiletés sociales ont manqué d’entraînement pendant ces longs mois de privation. Et on en constate les conséquences aujourd’hui.

C’est plus compliqué de se côtoyer dans l’espace public, l’impatience des uns se frottant à l’irritabilité des autres en cette période où l’incivilité est devenue fléau.

Dans le cadre d’une autre étude⁠6, menée auprès de 7000 adultes américains, des chercheurs ont d’ailleurs mesuré des changements de personnalité généralisés au lendemain de la COVID-19. Ils ont fait passer des tests à leurs sujets avant la crise sanitaire, puis pendant ses premiers mois, et à nouveau un an ou deux plus tard. Et ils ont découvert que certains traits de caractère – de ceux qui évoluent normalement peu au cours de la vie adulte – avaient fluctué par rapport à leur niveau prépandémique. L’extraversion, l’ouverture, l’agréabilité ainsi que la conscienciosité (le fait d’être organisé, discipliné, responsable) seraient en déclin depuis la pandémie.

Avez-vous remarqué ? Ce sont toutes des vertus qui, à divers degrés, sont nécessaires au maintien de l’harmonie en société.

Si c’est vrai qu’on est devenu moins consciencieux et donc moins disposé, par exemple, à se plier aux normes de savoir-vivre ; qu’on est désormais moins coopératif et bienveillant envers les autres, moins friand de leur compagnie ; qu’on est moins ouvert aux idées de ceux qui pensent différemment de nous… C’est peut-être normal qu’on ait plus de mal à s’endurer les uns les autres ! Même si la pandémie nous semble parfois bien lointaine, on n’a toujours pas fini de réapprendre à vivre ensemble.

Souffrez-vous du syndrome de désengagement pandémique ?

C’est possible si les énoncés suivants décrivent bien ce que vous ressentez :

  • Je pense moins aux amis et à la famille qu’avant
  • Je me sens éloigné de mes amis et des membres de ma famille
  • Je pense qu’il me sera difficile de reconstruire des liens sociaux
  • Je n’ai plus envie de voir mes amis ou ma famille autant qu’avant
  • Ma vie sociale n’est plus la même depuis la pandémie
  • Je me sens moins motivé en général qu’avant
  • Il m’arrive de me sentir paralysé, incapable de décider ce que je dois faire
  • Vu la présence du virus, je pense qu’il est préférable d’utiliser l’internet ou le téléphone pour interagir avec les gens
  • J’estime que rencontrer des gens en personne est trop risqué en ce moment
  • Je ne me sens pas à l’aise dans les lieux publics
  • Je crains que les gens ne prennent pas assez au sérieux les risques associés au virus

Questionnaire inspiré par celui de Gabriele Prati et Anthony D. Mancini, paru dans la revue Psychological Assessment en novembre 2023

Quelques conseils pour sortir de sa bulle

  • Comme pour toute phobie, s’exposer de façon contrôlée et graduelle aux situations qui nous font peur
  • Choisir les gens avec qui on veut reprendre contact et faire un plan de match avec eux pour rebâtir la relation en leur confiant qu’on a des difficultés sur ce plan
  • Dans les interactions plus tendues, surcompenser par un excès de courtoisie et d’empathie, puis observer si cette attitude détend l’atmosphère
1. Consultez l’étude menée par des chercheurs de l’Université de technologie de Swinburne (en anglais) 2. Consultez l’étude menée par des chercheurs australiens, britanniques et américains (en anglais) 3. Consultez l’étude menée par des chercheurs portugais (en anglais)

4. Statistique Canada a par exemple mesuré que la prévalence de la phobie sociale a plus que doublé en 20 ans au pays ; elle a même quadruplé chez les jeunes femmes de 15 à 24 ans.

5. Consultez l’étude menée par des chercheurs italien et américain (en anglais 6. Consultez l’étude menée par des chercheurs américains et français (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue