Inconfort. C’est la réaction épidermique quand on encaisse ou on annonce un diagnostic. Le mot cancer provoque sans doute le plus d’impact. Éveillant crainte, appréhension de mort, mais aussi de douleur, de perte de capacité, d’effets secondaires des traitements, d’altération de l’image de soi. Un rappel brutal de notre manque d’éternité.

Par ailleurs, peu de nouvelles scientifiques médicales suscitent autant l’attention et l’espoir qu’une découverte sur le cancer, notamment de son traitement. Au cours des derniers mois, les statistiques canadiennes autres que québécoises ont statué sur une augmentation de la probabilité de survivre plus longtemps au cancer grâce au diagnostic plus précis et aux traitements ciblés conséquents. Recherche, innovation, formation s’inscrivent comme les trois clés.

On conclut sur l’utilité de nouvelles thérapies en parlant d’augmentation de survie médiane. Sommairement, en démontrant que plus de 50 % des gens traités vivent plus longtemps qu’antérieurement. Souvent, cet avantage est modulé, influencé par une minorité de patients qui retirent de grands avantages alors que la majorité demeure silencieuse, refoulée des avantages cliniques. En bon anglais, on parle souvent de winner takes all.

Rappelons que le développement thérapeutique encadre une expérimentation contrôlée sur l’efficacité, initialement chez des souris génétiquement similaires, voire identiques, inoculées avec des cellules cancéreuses de même origine, présentant une réponse homogène, attendue, semblable dans chaque cas. Le genre humain quant à lui s’est formé et a subsisté grâce à ses différences. Conséquemment, il est impossible de reproduire les mêmes résultats d’un individu à l’autre, de prédire pour un patient si son traitement fonctionnera.

Chaque cancer est unique, singulier. Chaque personne atteinte connaît des effets distincts d’un traitement, standard ou expérimental.

Contrairement aux souris génétiquement similaires qui répondent uniformément, chaque humain qui reçoit un traitement devient sa propre expérience, a une voie exclusive, un parcours personnel dans la maladie. Pour comprendre cela davantage, il n’y a que la recherche, l’innovation, la collecte et le partage de données sur le plus grand nombre.

Une émotion non mesurable

Oublions les constats d’échec ou de victoire face au cancer. L’espoir se veut une attente de réponse positive à un traitement. Il n’est pas mesurable scientifiquement. C’est une émotion déclenchée par une probabilité clinique de faire partie du winner takes all, par une statistique indiquant une possibilité de répondre à un traitement anticancéreux, tel qu’évalué dans une étude clinique. Celle-ci a été conduite préalablement par et pour des patients qui avaient espoir, le vrai dans l’absolu puisqu’aucune donnée n’était encore disponible, d’avoir des résultats plus favorables pour soi qu’avec les traitements standards.

En recherche, il y a de nombreux espoirs déçus. Malgré des résultats préliminaires permettant de soulever l’hypothèse d’un meilleur traitement, plusieurs essais ne sont pas fructueux. Mais le genre humain ne se satisfait pas de résultats imparfaits, ne donnant pas une réponse à chacun. Cela justifie les investissements progressifs en recherche et développement. Notons qu’à cet égard le Canada fait mauvaise figure face à d’autres pays plus innovants.

Encore plus concrètement que les espoirs de la recherche, notons ceux de patients et patientes qui sont souvent non pas déçus, mais frustrés. Parce qu’on les prive de l’accès à un médicament novateur, que les mesures diagnostiques pour augmenter les probabilités de définir un traitement efficace ne sont pas déployées, que des délais cumulatifs réduisent directement la survie.

Que coûte l’espoir de patients en quête d’une durée plus grande de sensations humaines ? Et que faire du moral du personnel traitant qui souhaite donner mieux, se retrouvant fréquemment démuni devant les limites de la connaissance, mais pire encore devant les contraintes des ressources disponibles ?

Socialement, nous avons vu émerger des critères pour justifier ou pas l’investissement dans la condition humaine. L’État providence, comme on a décidé de le nommer, utilise des termes de coûts « d’années de vie ajoutée » ou « d’années de vie utile » pour décider du financement des actions prises pour juguler la maladie. Mais le red tape, la séquence bureaucratique contrôlant les décisions, n’a rien d’humain. Elle éloigne les décideurs de l’impact de leur signature pour les montants consentis aux soins et à la recherche. Elle réagit de façon inversement proportionnelle à la vitesse de développement de connaissances. Les technologies de l’information nous ont conduits à attendre une réaction dans l’instant, souvent dans le but de satisfaire des besoins sommaires. Pourquoi ne pas agir avec autant de célérité face à des décisions qui peuvent prolonger la vie ?

Ce n’est pas la science qui crée des espoirs frustrés. C’est l’astreinte imposée par les capacités de l’humain, qu’il soit soignant ou décideur, patient ou proche aidant, chercheur ou gestionnaire.

À chaque jour suffit sa peine. Dans le mythe de Sisyphe, cette maxime sur l’humain se traduit en actions répétitives ramenant à notre impuissance à changer les choses. Pour Camus, Sisyphe lutte en poussant son fardeau, la seule chose qu’il puisse et sache faire, s’en contentant et choisissant la vie envers et contre tout. Parlant de l’homme et de sa vulnérabilité face à la maladie, il écrit : « L’important n’est pas de guérir, mais de vivre avec ses maux. » Mais clairement, Camus luttait lui-même contre ce concept en écrivant aussi que : « L’espoir, au contraire de ce que l’on croit, équivaut à la résignation. Et vivre, c’est de ne pas se résigner. »

Des espoirs continueront à être déçus par une nature indomptable malgré nos efforts. Par contre, les espoirs frustrés peuvent cesser de survenir à cause de l’hommerie, de travers d’une société qui a mal dans sa capacité à s’adapter et renouveler, à changer, évoluer, innover, soigner. Pensons à cela dans chacune de nos décisions, individuelles et collectives, quand on participe aux soins d’un patient cancéreux.

On a beaucoup discuté et agi socialement depuis 10 ans pour offrir une fin digne. Pour aussi assurer une vie digne de ses ambitions et espoirs, nous avons encore énormément à découvrir sur le cancer malgré des investissements depuis des décennies. Science et société ont des objectifs et espoirs communs. Il nous appartient de le prouver en opposant au cancer une lutte concertée, continue, progressive et pleine d’espoir légitime pour réduire l’inconfort du diagnostic. Et primo, financer adéquatement la recherche et les soins appropriés via les fonds publics et les fondations. L’espoir doit s’actualiser, pas s’exprimer uniquement pour émouvoir l’auditoire.

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