Le train est passé sur le corps de ma blonde en février 2021. Tout juste trois semaines avant que les profs, comme elle, puissent avoir le premier vaccin. Au début, rien n’avait l’air du tableau western de la pauvre condamnée attachée aux rails de l’engin qui s’amène à toute vitesse.

C’est arrivé sournoisement au cours des semaines après le choc initial d’avoir attrapé le maudit microbe.

Au début, c’était la fatigue. Bon, ça se pouvait. Alternance de confinements, d’enseignement en ligne et le stress qui vient avec. C’était une autre grosse année scolaire qui allait se rattraper aux vacances. Enfin, on espérait.

L’été passe puis rendu au mois d’août, il faut bien se rendre à l’évidence : pas possible de retourner en classe. Tout est rendu plus compliqué. Ma blonde cherche ses mots.

Elle se fâche quand elle ne les trouve pas et s’inquiète des ravages mentaux qu’elle subit. De l’urticaire apparaît. Des crises qui prennent feu à un endroit et qui s’arrêtent quand tous les centimètres carrés de peau y ont passé. Ça part un temps, puis ça revient. On ne comprend pas pourquoi.

Heureusement, le docteur fait preuve d’écoute. Ma blonde devient spécialiste de son cas. Un porte-document la suit partout. « Avez-vous eu tel test ? » « Oui, attendez, j’ai ça ici quelque part… »

Les mois passent, les manifestations n’arrêtent pas. Ma douce est confinée à son lit. Tout le temps. Pas de jus, pas d’énergie. Parfois, c’est toute la journée couchée. Parfois moins, et à ce moment elle se permet de rallumer un tant soit peu ses talents d’allumeuse de papilles gustatives pour le souper.

Les conversations se tarissent. Les mots ne viennent plus comme avant. Il n’y a pas tant d’anecdotes à raconter quand on passe ses journées couchée.

Au moins, elle fait partie d’un groupe de femmes qui sont dans le même état qu’elle. Elles s’appellent régulièrement ou en cas de besoin d’une d’entre elles. Belle solidarité, belle sororité. Au début, quand les gens ne croyaient pas trop à la COVID-19 longue, je leur aurais fait écouter 30 minutes d’échanges de ce groupe. Épouvantable d’entendre toutes les limitations, les casse-têtes et les peines vécues par ces personnes. Le groupe Facebook « COVID-19 longue Québec » regorge de petites horreurs vécues par les personnes atteintes.

Sur la tablette

Il y a des médecins qui n’y croient pas encore ou qui ne sont pas habilités à détecter la COVID-19 longue. Une chance que les cliniques spécialisées ont été créées. Les gens qui y travaillent bossent fort pour donner du sens à ceux qui vivent avec les symptômes les plus sévères de la maladie.

Plus le temps passe et plus notre situation se fragilise. On doit, comme couple, faire la transition vers le fait qu’un des deux correspond dorénavant à la définition « à mobilité réduite » ou même « handicapé ».

Je vais toujours me souvenir de la première fois où nous sommes allés au Festival d’été de Québec dans la section mobilité réduite. Ma blonde haït ça que je dise ça, mais cette section, je l’appelle « la tablette ». On est tous juchés sur une estrade surélevée pour voir les spectacles assis. La première fois, on a « pogné un deux minutes » tous les deux. Ce fut un des nombreux marqueurs qui nous ont indiqué que notre vie ne sera plus jamais pareille. Une chance qu’elle existe, « la tablette ». On aime tant la musique, ma blonde et moi. Ça nous a permis de voir ce Karl Tremblay à bout de ressources donner un de ses derniers spectacles.

PHOTO FOURNIE PAR L’AUTEUR

L’auteur et sa conjointe au Festival d’été de Québec 2023

Il y aurait environ 100 000 arrêts de travail au Canada à cause de la COVID-19 longue. Imaginez, 100 000 personnes, c’est aussi le nombre de personnes sur les plaines le 17 juillet 2023. Parmi ces gens, ceux qui étaient au front dès les premières heures de l’urgence sanitaire. Nos anges, qu’on les a surnommés. Ils paient maintenant avec une maladie inédite qu’on prendra encore bien du temps à comprendre.

L’impact économique de la maladie pousse les pays à investir pour trouver des solutions. Pour chercher, ça cherche. Merci à tous ceux qui ont déclaré la guerre à la maladie. Le DPiché, le DDécary, le DMoreau, la Dre Huynh, le DRoussy et les autres qui, au Québec comme ailleurs, travaillent d’arrache-pied pour trouver des façons de soulager la maladie.

Il faut ralentir ce train fou…

Comme Patrice Michaud le chante dans La saison des pluies, le corps de ma blonde n’est plus vraiment son corps. Il ne tient que par son cœur. Cœur de maman qui veille malgré tout sur les siens, cœur d’enseignante qui s’ennuie de sa classe.

Puis oui, comme la chanson le dit, je vais t’embrasser encore. Autant de fois que tu le veux, mon amour. Pour qu’un jour tout ça finisse par passer. Tsé veux dire…

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue