La hausse des droits de scolarité imposée aux universités anglophones est un autre coup d’épée dans l’eau de la part d’un gouvernement en perte de vitesse. Elle n’aidera ni la survie du français ni le financement des universités francophones, tout en semant la division au Québec et la confusion partout ailleurs.

Montréal est une ville éminemment universitaire. Elle compte quatre grandes universités pour une population d’à peine 1,8 million. Un fait rare qui contribue à son rayonnement international. C’est un bien mauvais calcul que de s’attaquer à deux de ces institutions de recherche et d’enseignement qui, depuis longtemps, font partie de l’attrait magnétique de la métropole.

Le comité consultatif sur l’accessibilité financière aux études, censé conseiller le gouvernement, a bien tenté de passer ce message, mais il a été balayé du revers de la main. On préfère agiter de vieux épouvantails, l’arrogance et la domination anglophones, plutôt que de regarder la réalité en face. Alors, prenons-les un par un, tous ces fléaux que la nouvelle politique croit pouvoir régler, pour voir ce qui en est réellement.

Tout d’abord, l’anglicisation du centre-ville due à la présence d’étudiants de McGill et de Concordia. Selon le sociologue et spécialiste des questions linguistiques de l’Université Laval Jean-Pierre Corbeil, c’est bien davantage la présence d’immigrants permanents et de travailleurs temporaires venant de pays anglophiles (Inde, Chine, Philippines, Iran, Syrie) qui est en cause.

De 2016 à 2021, on a reçu, principalement à Montréal, 74 000 personnes anglophones unilingues, huit fois plus que pendant les cinq années précédentes. Durant la même période, près de 75 000 personnes de langue maternelle française ont quitté Montréal pour d’autres régions.

Les vrais coupables de l’anglicisation ne sont vraisemblablement pas les quelques milliers d’étudiants étrangers qui déambulent à Montréal, mais bien les politiques d’immigration irréfléchies et les mesures linguistiques insuffisantes.

Bien sûr, les étudiants de McGill et de Concordia contribuent à la présence de l’anglais dans la rue. Mais ce n’est pas parce qu’ils parlent anglais entre eux que ces étudiants ne savent pas parler français à d’autres occasions.

Les dernières données de l’Office québécois de la langue française, présentées lors du récent colloque des Organismes francophones de politiques et d’aménagement linguistiques (OPALE)⁠1, démontrent d’ailleurs que l’usage du français dans l’espace public n’a pas beaucoup bougé depuis 2007. Dans 95 % des cas, les services en français ne posent pas de problème. C’est l’accueil qui s’est davantage bilinguisé – le fameux « bonjour-hi ». Selon les chiffres les plus récents fournis par le Commissaire à la langue française, environ 70 % des universitaires internationaux peuvent s’exprimer dans la langue de Molière.

J’en sais quelque chose. J’enseigne depuis neuf ans au département de journalisme de Concordia, où 24 % des étudiants viennent de l’étranger et 9 % d’ailleurs au Canada. Je suis toujours un peu surprise de constater que bon nombre d’entre eux peuvent effectivement parler français. Sans doute pas celui de Molière, mais suffisamment pour pouvoir s’exprimer. Je suis également étonnée de constater qu’entre 20 et 25 % des étudiants sont franco-québécois.

La perception des universités de langue anglaise comme étant des châteaux forts de l’anglomanie ne tient pas la route. Le français y est beaucoup plus parlé qu’on croit. Des mesures de francisation pour les étudiants existent également depuis plusieurs années.

Deuxième mythe : le Québec offre aux étrangers une éducation à prix réduit, mais ceux-ci quitteraient les lieux sitôt les études terminées. C’est de l’argent jeté par la fenêtre, dit le gouvernement. Or, selon le bureau de la planification institutionnelle de Concordia, 54 % des étudiants internationaux (il n’y a pas de chiffres pour les étudiants canadiens) restent au Québec après leurs études. Qui dit mieux ?

Il est faux également de croire que les études ici sont moins chères pour les étudiants canadiens, et donc davantage subventionnées par le gouvernement. Selon les données fournies par l’Université McGill basées sur le dernier rapport du Comité sur l’accessibilité financière des études⁠2, les droits de scolarité au Québec, sauf exception (médecine, droit, pharmacie), sont en fait plus élevés que la moyenne canadienne. À partir de septembre prochain, les étudiants canadiens inscrits dans les disciplines les plus populaires (beaux-arts, sciences humaines, sociales et pures) – 75-80 % des admissions – paieront environ le double de ce qu’ils paieraient chez eux.

Mais venons-en à l’hypothèse la moins crédible de toutes : la hausse des droits de scolarité servira à mieux équilibrer le financement entre les universités anglophones et francophones. D’abord, le principe de piger dans les coffres des établissements anglophones afin d’éponger le sous-financement des universités québécoises, estimé à 1,25 milliard, n’est pas nouveau. Il existe depuis une décennie et n’a jamais posé problème. L’idée de mieux équilibrer les forces du réseau et ainsi maintenir l’accessibilité à l’éducation supérieure, un principe sacré au Québec, est bien comprise. Tout le monde comprend également que les universités anglophones ont l’énorme avantage de l’anglais, ce qui attire plus d’étudiants et, par le fait même, plus d’argent.

Mais l’attitude punitive du gouvernement Legault face aux universités anglophones vient fracasser cette bonne entente. En imposant une hausse de 3000 $ aux étudiants canadiens et des droits minimaux de 20 000 $ aux étudiants internationaux inscrits à McGill et à Concordia, ces universités risquent de perdre un tiers de leur clientèle. C’est déjà ce qui s’annonce à Concordia, qui prévoit une baisse de revenus de 62 millions au bout de 4 ans. McGill prévoit, elle, une perte d’entre 42 et 94 millions sur la même période.

Qu’on le veuille ou non, une telle tactique envoie le message que les étudiants étrangers ne sont pas bienvenus au Québec. Est-ce bien ça qu’on veut ? Mais le pire, c’est que cette ponction brutale ne parviendra même pas à éponger le manque à gagner des universités francophones.

Dans le meilleur des cas, basé sur l’hypothèse jovialiste que les universités ciblées maintiendront leurs admissions étrangères malgré la hausse, le gouvernement récoltera 151 millions, environ 10 % du manque à gagner. Puisqu’une baisse importante d’étudiants est à prévoir, la véritable somme risque d’être dérisoire.

Tout ça pour ça ? Encore une fois, le gouvernement Legault préfère les boucs émissaires plutôt que de chercher de véritables solutions à de véritables problèmes.

Dans une version précédente de cette lettre ouverte, il était indiqué que le sous-financement des universités francophones est estimé à 1,25 millard. Or, il s'agit d'une estimation du sous-financement des universités québécoises.

1. Consultez le site des OPALE 2. Consultez le rapport du Comité sur l’accessibilité financière des études Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue