Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’Université du Québec à Montréal.

Fin septembre 2023, le conseiller à la sécurité nationale du président américain Joe Biden, Jake Sullivan, estimait que le Moyen-Orient connaissait sa période la plus calme des 20 années précédentes. Une semaine plus tard, l’attaque perpétrée par le Hamas contre Israël replongeait la région dans une violence à grande échelle et forçait les États-Unis à y investir temps et efforts diplomatiques.

Alors que le secrétaire d’État Antony Blinken vient d’y conclure son cinquième déplacement depuis le 7 octobre dernier, la capacité de Washington à restaurer un semblant de stabilité au Moyen-Orient paraît bien incertaine. Elle dépend en effet en bonne partie de deux acteurs régionaux particulièrement opiniâtres : Israël et l’Iran.

L’allié récalcitrant

Le terrible bilan humain du conflit en cours entre Israël et le Hamas à Gaza représente un double défi pour le président Biden. Sur le plan de la politique intérieure, il alimente l’insatisfaction à son égard, et la colère des Arabo-Américains menace la coalition démocrate en vue de l’élection de novembre prochain. Sur le plan de la politique étrangère, il met à mal la relation entre deux alliés aux intérêts de plus en plus divergents.

La priorité pour Washington est ainsi d’obtenir une pause des hostilités et la libération de la centaine d’otages israéliens toujours détenus par le Hamas. Les États-Unis, l’Égypte, le Qatar et Israël négocient en ce sens, que ce soit à Paris à la fin janvier ou au Caire cette semaine. Or, la détermination des éléments palestiniens les plus radicaux à Gaza et la volonté du premier ministre Benyamin Nétanyahou d’élargir les opérations militaires à Rafah rendent peu probable un arrêt des combats à court terme. Au-delà, le refus du gouvernement israélien actuel d’envisager un État palestinien et la poursuite de la colonisation en Cisjordanie, voire la reprise de celle-ci à Gaza, constituent les principaux obstacles à une résolution durable du conflit israélo-palestinien.

L’administration Biden a beau avoir réaffirmé son attachement à la solution à deux États, celle-ci n’aura aucune chance de se concrétiser si elle ne fait pas preuve d’audace.

Elle doit d’une part proposer et accompagner la mise sur pied d’un mécanisme sous supervision internationale permettant la gestation d’un véritable État palestinien. Elle doit d’autre part se résoudre à exercer une véritable pression sur Israël, que ce soit en dénonçant publiquement l’intransigeance de son gouvernement ; en ne s’opposant pas à la reconnaissance de cet État palestinien embryonnaire, voire en l’appuyant ; ou encore en suspendant l’aide militaire que Washington lui accorde.

Le rival enhardi

L’Iran est l’autre acteur régional majeur et indocile auquel doit faire face l’administration Biden. Depuis octobre dernier, les supplétifs que finance, entraîne et arme Téhéran se montrent particulièrement agressifs. Les houthis au Yémen menacent le commerce mondial en attaquant les navires transitant par la mer Rouge. Les milices pro-iraniennes en Irak et en Syrie ont frappé des cibles américaines à plus de 160 reprises au cours des quatre derniers mois, tuant trois soldats américains dans l’une d’elles en Jordanie à la fin janvier.

Aussi préoccupantes soient-elles, ces actions ne sont pas nécessairement annonciatrices d’un affrontement direct inéluctable entre les États-Unis et l’Iran. Les premiers n’ont plus guère d’appétit pour les grandes aventures militaires au Moyen-Orient depuis les échecs en Irak et en Afghanistan. Le second est avant tout préoccupé par la survie du régime.

Dans la foulée de la mort des trois soldats américains en Jordanie, les Iraniens se sont ainsi empressés de signifier qu’ils ne voulaient pas de guerre avec les États-Unis et ont invité les milices irakiennes et syriennes à faire une pause dans leurs attaques.

Il convient par ailleurs de souligner que le principal allié et atout de Téhéran au Moyen-Orient, le Hezbollah libanais, ne s’est pas engagé aux côtés du Hamas dans une attaque de grande envergure contre Israël. Il apparaît même qu’au cours des derniers jours, la diplomatie américaine a contribué à la négociation d’un repli des forces du Hezbollah de la frontière entre le Liban et l’État hébreu.

Bien que Téhéran ne cherche peut-être pas à utiliser ses supplétifs pour embraser le Moyen-Orient, il n’en demeure pas moins que l’Iran représente une menace du fait de son programme nucléaire. Le stock d’uranium enrichi à 60 % a augmenté au cours des derniers mois et il ne faudrait que quelques semaines pour le porter au seuil requis de 90 % pour obtenir une arme nucléaire. Ce délai était estimé à plus d’un an au moment de la conclusion de l’accord de 2015.

Dénoncé par Trump en 2018, cet accord était une priorité de la politique étrangère du président Biden. Qu’il ne soit pas parvenu à le ressusciter constitue son principal échec de politique étrangère.

Redéfinir la relation avec Israël et relancer la diplomatie avec l’Iran devraient être les deux priorités de Washington dans la région. Ardues en elles-mêmes, ces missions ne doivent pas se faire au détriment du dossier ukrainien ou de la gestion de la rivalité avec la Chine. Biden doit également faire preuve de prudence alors que sa réélection en novembre est loin d’être garantie. À défaut de stabilité et de prospérité, le président démocrate en est donc réduit à espérer que le Moyen-Orient ne s’embrasera pas davantage.

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