Une voie prometteuse s’ouvre devant les communautés autochtones, particulièrement leurs enfants. Je ne peux que m’en réjouir, ayant participé à une recherche collaborative qui a illustré les rapports difficiles entre des parents autochtones et le système de protection de l’enfance.

La Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis (loi C-92) reconnaît le droit des Autochtones à déterminer leurs pratiques en matière de services de protection de l’enfance. Cette loi du gouvernement Trudeau est entrée en vigueur en janvier 2020. Le gouvernement de François Legault l’a contestée aussitôt, au motif qu’elle empiéterait sur la compétence provinciale en matière de services sociaux.

La Cour d’appel du Québec a rejeté l’essentiel de ce recours. Ce tribunal s’est déclaré d’avis qu’Ottawa n’outrepasse pas ses pouvoirs, sauf dans deux dispositions de la loi. Le 9 février, la Cour suprême du Canada s’est déclarée de l’avis que la loi est valide dans son intégralité.

Cette confirmation tombe à point. Un reportage dans La Presse+ a déjà illustré les effets positifs du modèle autonome de protection de la jeunesse dans la communauté autochtone d’Opitciwan, en Mauricie⁠1. Les constats du reportage vont dans le même sens qu’une récente étude empirique à laquelle j’ai participé : les communautés autochtones pourraient être les mieux placées pour gérer ces services⁠2.

Notre étude à petite échelle, réalisée en collaboration avec le Foyer pour femmes autochtones de Montréal, met en exergue les limites du système étatiste issu de la colonisation.

Nous avons interrogé des avocats, des travailleurs sociaux et des juges ayant travaillé avec des familles autochtones pour connaître leur point de vue sur l’expérience des parents autochtones.

Nos participants ont souligné les mauvaises relations des parents autochtones avec les services de protection de l’enfance et les tribunaux de la jeunesse. Ils ont évoqué les contrecoups coloniaux de la protection de l’enfance, qui génère des sentiments d’impuissance, de honte et de méfiance chez les parents autochtones qui y font face.

Sentiment de défaite

En dépit des avantages potentiels du placement des enfants au sein de communautés autochtones, le recrutement de familles d’accueil demeure difficile. Un travailleur social nous a déclaré que les familles d’accueil potentielles préfèrent éviter l’implication du Directeur de la protection de la jeunesse dans leur vie.

Selon nos entrevues, les familles autochtones qui participent au système ont souvent l’impression que leurs expériences, leurs points de vue et leurs besoins sont moins pris en compte que ceux des travailleurs sociaux. Les mères se sentent rarement assez en confiance pour expliquer leur point de vue devant le tribunal. Un sentiment de défaite naît de la perception que tout est joué d’avance. Certains parents craignent que le gouvernement (ou les tribunaux) prenne leur enfant, peu importe ce qui est dit lors des procédures.

Nos participants ont également déploré l’ignorance des fonctionnaires concernant les pratiques familiales autochtones et les méfaits persistants du colonialisme de peuplement.

La recommandation que nous avons entendue le plus souvent visait une meilleure formation sur les peuples autochtones. Toutefois, des études soulignent que la formation professionnelle a une capacité limitée à modifier les institutions en profondeur. Jusqu’à quel point les formations peuvent-elle régler les problèmes d’un système sous-financé et surchargé ?

Au-delà des recommandations portant sur la formation et le comportement des acteurs de la protection de l’enfance, des changements structurels et fondamentaux s’imposent.

Les conclusions de notre étude plaident en faveur d’un transfert d’autorité aux communautés autochtones en matière de protection de l’enfance. Les tentatives de bricolage du système étatique ont prouvé leurs limites. Il est désormais urgent de responsabiliser et d’équiper les communautés autochtones pour qu’elles gèrent elles-mêmes ce domaine crucial. Heureusement, la voie leur est ouverte grâce à la décision de la Cour suprême.

1. Lisez « Un modèle qui fait ses preuves » 2. Lisez « Indigenous parents and child welfare : Mistrust, epistemic injustice, and training » (en anglais) 2. Lisez « Child welfare, Indigenous parents, and judicial mediation » (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue