Dans un monde en crise, le Canada ne doit pas se limiter à collaborer avec ses seuls alliés démocratiques, soit, mais il doit continuer à défendre la démocratie et les droits de la personne, plaide l’auteur de ce texte.

La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, mettait de l’avant, en novembre dernier, le concept d’une diplomatie pragmatique⁠1 pour orienter l’action internationale du Canada. Une telle approche appelle à créer des liens avec des pays ayant des points de vue différents des nôtres et à résister à la tentation de diviser le monde en camps idéologiques rigides, le tout « sans jamais transiger sur nos valeurs », affirmait-elle.

Pour certains, cela sera perçu comme une tentative de réaliser la quadrature du cercle. Quoi qu’il en soit, le tout semble sonner le glas du credo « démocratie contre autocratie » en tant que paradigme de politique étrangère.

Il y a une saine dose de réalisme dans cette approche. Le monde n’est pas fait à notre image et tous ne partagent pas nos valeurs et nos idéaux.

Pour assurer notre propre sécurité et prospérité, ainsi que de meilleures assises à notre démocratie et nous éviter une crise environnementale aiguë, nous ne pouvons nous limiter à collaborer seulement avec les pays que nous percevons comme des alliés vertueux.

Alors, comment assurer une place à nos valeurs dans cette diplomatie, valeurs que nous identifions ici comme les droits de la personne et la démocratie ? Le tout alors que la démocratie est en recul à l’échelle internationale⁠2 et que l’année qui s’ouvre sera critique, puisqu’une soixantaine de pays représentant près de la moitié de la population mondiale procéderont à des élections nationales⁠3.

Avant toute chose, nous devons assurer la défense et la vitalité de notre propre démocratie, ici même au Canada. Et cela est la responsabilité tant des gouvernements et des leaders politiques que de la société civile et de l’ensemble de la population. Il nous faut notamment éviter le piège de la polarisation et lutter vigoureusement contre l’influence étrangère. Sans oublier que la démocratie doit répondre aux attentes légitimes de la population en matière de qualité de vie et de participation, en faisant en sorte que tout le monde y trouve son compte.

Promouvoir la démocratie et les droits de la personne sur la scène internationale se révèle encore plus difficile. Mais malgré des vents contraires, ces deux idéaux demeurent toujours attrayants pour une large majorité de la population mondiale, tous continents confondus⁠4.

Il faut néanmoins faire un dur constat : l’influence réelle du Canada et des autres pays démocratiques à promouvoir la démocratie et les droits de la personne sur la scène internationale est fort modeste. La démocratie est d’abord et avant tout un processus endogène.

Qui plus est, la crédibilité des États qui se veulent le fer de lance de la promotion de la démocratie et des droits de la personne, souvent considérés comme des valeurs occidentales, a été sérieusement entachée ces dernières années. Plusieurs pays, notamment du Sud, dénoncent un « double standard » en ce que les pays occidentaux utilisent une approche à géométrie variable afin de préserver leur position privilégiée dans un ordre international qu’ils ont largement façonné. Combien de fois n’ai-je pas entendu, lorsque je vivais en Chine, que les pays occidentaux instrumentalisent les droits de la personne en fonction de leurs intérêts ?

Repenser notre approche pour avoir un impact

Dans un tel contexte, faut-il baisser les bras ? Aucunement. Il faut continuer de défendre et de promouvoir la démocratie et les droits de la personne, tout en remettant en question nos façons de faire. Utilisons à bon escient la marge d’inspiration, le pouvoir et l’influence que nous avons, en ayant des attentes réalistes quant aux résultats.

Nous avons eu recours au fil des ans à une boîte à outils pour promouvoir la démocratie et les droits de la personne, de la collaboration à la pression : coopération technique avec les gouvernements, développement des capacités, appui à la société civile, dialogue politique, incitatifs, mécanismes multilatéraux, narratif politique et dénonciations publiques, conditionnalité, recours judiciaires, sanctions et tentatives d’isolement.

Plus récemment, nous avons ajouté la lutte contre la désinformation et nous commençons à nous pencher plus sérieusement sur l’influence étrangère.

Si ces démarches ont donné certains résultats⁠5, il est impératif d’analyser froidement ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, de raffiner notre discours souvent trop moralisateur, d’ajuster nos pratiques aux nouvelles réalités géopolitiques et d’innover.

Le Canada a déjà été un pionnier en matière de gouvernance démocratique. J’y ai pris part à une époque où l’audace et l’innovation étaient encouragées au sein de la coopération et de la diplomatie canadiennes.

Pour donner corps à la nouvelle diplomatie pragmatique annoncée par la ministre et avoir de l’impact dans un environnement international en mutation, il serait maintenant essentiel d’enrichir celle-ci d’une stratégie en matière de promotion de la démocratie et des droits de la personne à la mesure des défis du jour.

1. Consultez le texte de l’allocution de la ministre au CORIM 2. Consultez le rapport 2023 de l’Institut IDEA (en anglais) 3. Lisez l’éditorial « À la santé (chancelante) de la démocratie ! » de Stéphanie Grammond 4. Consultez le sondage de l’Open Society Foundation (en anglais) 5. Consultez l’étude « From Aid to Empowerment » (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue