Comment se peut-il qu’en 2024, les premiers ministres des provinces n’aient pas de conseillers en matière de sécurité nationale ? Cela dépasse l’entendement.

Le 27 octobre dernier, Joël-Denis Bellavance a écrit⁠1 à propos d’une invitation en juin 2023 du premier ministre Justin Trudeau à tous ses homologues provinciaux d’obtenir une habilitation de sécurité afin que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) puisse leur donner un breffage hautement confidentiel sur la sécurité nationale. Un seul premier ministre, David Eby, de la Colombie-Britannique, a accepté. Aucune raison n’a été donnée par les autres premiers ministres pour leur refus.

Le mois dernier, le juge en chef de la Cour fédérale, l’honorable Paul Crampton, a rendu une décision dans le dossier d’un étudiant chinois qui désirait venir faire son doctorat à l’Université de Waterloo, en Ontario. Par crainte d’un stratagème pour voler de la technologie, son visa d’entrée fut refusé, car il a été jugé que l’étudiant représentait un risque à la sécurité du pays.

S’appuyant sur des rapports d’agences de contre-espionnage occidentales, le juge Crampton a reconnu qu’il élargissait la définition « traditionnelle de l’espionnage ».

Depuis plus d’une année, les questions sur l’ingérence étrangère font la manchette chaque semaine. Juste ces dernières années, on a découvert des postes de police clandestins chinois, déjoué un coup d’État en Haïti commandé d’ici, rapporté de l’ingérence dans le processus électoral canadien, procédé à l’arrestation d’un chercheur chinois accusé d’espionnage chez Hydro-Québec, des chercheurs ont fui le pays juste avant leur arrestation au Centre de microbiologie de Winnipeg, un leader sikh a été assassiné en Colombie-Britannique, des arrestations ont eu lieu, à Ottawa et en Estrie, de membres de l’extrême droite associés à un groupe accusé de meurtre aux États-Unis, cinq hommes qui se préparaient à déclencher une insurrection ont été arrêtés à Coults, en Alberta, pour ne donner que ces exemples…

Tentative d’influencer les élections

Il aura fallu, à l’automne 2022, le courage de lanceurs d’alerte qui ont remis aux médias des rapports secrets du SCRS démontrant que des agents chinois avaient illégalement tenté d’influencer le résultat des élections fédérales pour qu’on en parle publiquement. Depuis, on a appris que des actions similaires auraient eu lieu aux niveaux provincial et municipal. Et que font les premiers ministres provinciaux ? Après avoir entendu près de 350 témoins devant quatre comités parlementaires, Justin Trudeau tarde toujours à prendre des mesures concrètes et les premiers ministres provinciaux restent dans leur ignorance ouateuse.

Et si ce n’est pas suffisant… On estime que des milliards de dollars en recherches, en propriété intellectuelle et en savoir quittent le pays en toute impunité annuellement.

Les gouvernements fédéral et provinciaux investissent collectivement plus de 10 milliards par année pour soutenir la recherche scientifique et l’innovation. Or, depuis des décennies, le SCRS et la GRC ont enquêté et rapporté des vols de propriété intellectuelle, de secrets de recherches stratégiques, de contrats importants à l’étranger, et toutes ces pertes atteignent selon certains experts les 100 milliards annuellement.

Comment se fait-il que tous ces faits maintenant connus n’interpellent pas nos premiers ministres provinciaux ? La perte de milliards de dollars chaque année, causée par le manque de vigilance de nos ministres et même de tous les députés, se traduit directement par des pertes d’emplois, de compétitivité de nos entreprises, des budgets réduits pour la construction de nouvelles écoles ou pour un meilleur système de santé.

Ces milliards perdus entraînent des coupes en soutien financier aux organisations sociales d’entraide, que ce soit pour les sans-abri, les familles victimes de violence ou pour ceux qui ont faim. Ce sont des postes abolis de professionnels pour nos enfants en difficulté d’apprentissage. La liste de ce qu’on pourrait réaliser est infinie. Voilà, la sécurité nationale, ce ne sont pas juste des histoires à la James Bond. Ne pas y voir entraîne une cascade de répercussions concrètes sur nos sociétés à cause d’un laisser-faire de nos leaders politiques.

Pour un vrai programme de sécurité nationale, il faut que le fédéral et les provinces commencent à travailler ensemble. Il faut que les premiers ministres provinciaux se dotent de conseillers en matière de sécurité nationale en contact direct avec les agences fédérales qui à leur tour pourront les informer des menaces découvertes, voire les anticiper et se préparer à les contrer. Il faut permettre au SCRS de divulguer plus d’informations et de contribuer à protéger non seulement les intérêts du fédéral, mais aussi des provinces. Il est grand temps d’avoir auprès des premiers ministres provinciaux des conseillers fiables et un système efficace pour les informer et les guider.

1. Lisez « Ingérence étrangère : un seul dirigeant provincial reçoit des breffages du SCRS »