Il y a quelques mois, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) nous a appris que la cloche de la rentrée résonnait dans près de 200 000 petits bedons vides et affamés au Québec. Récemment, Statistique Canada nous a informés que ce problème touche près de 7 millions de Canadiens.

Statistique Canada a récemment publié de nouveaux chiffres alarmants, indiquant qu’en 2022, 18 % des familles canadiennes ont rapporté avoir vécu de l’insécurité alimentaire. Par ailleurs, les données de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) soulignent qu’en 2023, 21 % des adultes québécois vivent dans des familles avec enfants en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave. L’insécurité alimentaire se manifeste lorsqu’un individu ne parvient pas à se procurer des aliments sains et nutritifs, principalement en raison d’un manque de ressources financières.

Cette réalité a des conséquences graves sur la santé de la population. Bien que nous ayons l’habitude d’associer la malnutrition à des enfants qui n’ont pas assez à manger, la réalité évolue. De nos jours, la malnutrition se manifeste de plus en plus sous la forme de surpoids et d’obésité, une inquiétante tendance soulignée par l’UNICEF. Un enfant sur trois au Québec est en situation d’embonpoint ou d’obésité et 11,6 % sont en situation d’insécurité alimentaire.

Nous sommes à peine sortis de la pandémie de COVID-19, et c’est maintenant au tour de l’inflation d’aggraver la situation d’insécurité alimentaire. Par conséquent, selon les données d’Alima, Centre de nutrition sociale périnatale (anciennement le Dispensaire diététique de Montréal), le coût d’une épicerie équilibrée aurait augmenté de 25 % en moins de deux ans, engendrant des conséquences dévastatrices sur la qualité de l’alimentation des familles en situation de précarité socioéconomique.

L’accès à une alimentation équilibrée est un défi de taille pour les familles à faible revenu. Souvent contraintes de se tourner vers des aliments peu coûteux, ces familles se retrouvent malheureusement devant des produits alimentaires pauvres en éléments nutritifs et riches en sucres ajoutés, en gras et en sel. De plus, ces familles résident fréquemment dans des quartiers caractérisés par un niveau élevé de défavorisation, où l’accès à des produits frais et à des épiceries proposant des aliments nutritifs est limité. Outre la faible qualité nutritionnelle des aliments, la malnutrition a des répercussions désastreuses sur le développement et le bien-être des enfants. Plus spécifiquement, le surpoids et l’obésité peuvent entraîner des problèmes de santé graves, tels que le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires.

Nos travaux de recherche réalisés à Montréal ont d’ailleurs mis en évidence la relation entre l’insécurité alimentaire et l’obésité infantile, démontrant que 40,3 % des enfants pris en charge pour cette condition médicale vivaient dans une famille en insécurité alimentaire à leur premier suivi à la clinique. L’insécurité alimentaire était également particulièrement répandue parmi les enfants qui vivaient dans les arrondissements de Montréal-Nord et de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, connus pour avoir un indice de défavorisation modéré à élevé. Ces jeunes avaient d’ailleurs deux fois plus de difficulté à améliorer leur santé que leurs pairs qui vivaient dans des familles en situation de sécurité alimentaire. Ces résultats suggèrent que les difficultés socioéconomiques vécues par ces familles entravent en partie leur capacité à adopter des habitudes de vie favorables, y compris une alimentation équilibrée, c’est-à-dire être bien nourris.

Qu’en est-il des solutions pour lutter contre l’insécurité alimentaire ? Il est regrettable de constater que les initiatives actuelles pour lutter contre l’insécurité alimentaire semblent insuffisantes. Les récentes lignes directrices américaines sur la prise en charge de l’obésité infantile recommandent d’orienter les familles vers les ressources d’aide alimentaire gouvernementales et locales. En pleine période d’inflation, le nombre de Québécois ayant recours aux banques alimentaires augmente considérablement. Malgré l’importance cruciale des banques alimentaires dans notre société, celles-ci ne représentent qu’une solution à court terme et ne s’attaquent pas aux racines du problème. En plus de stigmatiser les familles déjà en difficulté, l’utilisation des banques alimentaires risque d’aggraver la problématique du surpoids et de l’obésité en raison de la qualité et de la disponibilité variable des aliments qui y sont proposés, tout en maintenant les taux d’insécurité alimentaire à des niveaux élevés.

Des solutions concrètes et durables doivent être mises en place rapidement. Alors que l’on rapporte qu’un enfant sur cinq arrive chaque jour à l’école le ventre vide ou dépourvu d’une boîte à lunch nutritive, investir dans un programme universel gratuit d’aide alimentaire dans les écoles permettrait aux tout-petits d’accéder à au moins un repas nourrissant et sain par jour et favoriserait leur santé. Il est donc urgent que des mesures durables et efficaces soient mises en place afin que l’insécurité alimentaire n’égale plus surpoids et obésité et pouvoir aspirer ainsi à une véritable prospérité.

Cosignataires : Maude Sirois, infirmière clinicienne, directrice des opérations, Chaire d’éducation interdisciplinaire en saines habitudes de vie, Maison de santé prévention, Approche 180, Réseau d’action en santé cardiovasculaire, Jean-Philippe Drouin-Chartier, professeur adjoint, faculté de pharmacie, chercheur au centre Nutrition, santé et société de l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels, Université Laval

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