Alors que le Québec fait face à une pénurie d’enseignants sans précédent, Marwah Rizqy a une candidature à proposer à un poste de suppléant : le ministre de l’Éducation Bernard Drainville.

Ce n’est pas une blague.

Ce n’est pas non plus une boutade sarcastique et partisane.

C’est ce que la députée libérale répond quand on lui demande ce que Bernard Drainville devrait faire pour que son mandat « soit un succès ».

Il doit aller dans une école, mais « pas juste pour prendre des photos », précise-t-elle. « La journée où il y a un patron à côté de vous, personne ne va vous dire quoi que ce soit », dit-elle en chuchotant, pour imager son propos.

Selon elle, ça pourrait « peut-être lui permettre de comprendre la réalité [du personnel scolaire] au quotidien, la dynamique d’une classe, la dynamique d’une gestion d’école et tous les feux qu’il y a à éteindre ».

Le mois prochain, ça va faire cinq ans que Marwah Rizqy est devenue porte-parole de l’opposition officielle à Québec en matière d’éducation – ça fera par ailleurs un an que Bernard Drainville est ministre.

La députée est la parlementaire qui, à Québec, fait de l’éducation une priorité depuis le plus longtemps. C’est la raison pour laquelle je souhaitais la rencontrer et obtenir ses suggestions quant aux problèmes du réseau.

Lorsqu’elle évoque la suppléance, ce ne sont pas des paroles en l’air. En 2021, elle-même en a fait pendant une semaine complète dans une classe de cinquième année d’une école primaire de son quartier. Elle y est ensuite retournée tous les lundis, pendant quelques mois (elle n’a pas de baccalauréat en enseignement, mais elle a été professeure à l’Université de Sherbrooke pendant cinq ans).

Elle affirme que cette expérience a changé sa perspective.

Marwah Rizqy doit aussi sa fine connaissance des enjeux du réseau au mélange d’enthousiasme et d’acharnement avec lequel elle aborde tous ses dossiers.

D’ailleurs, lorsqu’elle en parle, elle est intarissable. Elle nous offre toute une série de faits, bonifiés par des données, enrichis par des exemples, débités à une vitesse qui rappelle parfois la verve de Louis-Josée Houde.

« Je parle beaucoup », réplique-t-elle au photographe, Robert Skinner, qui l’interpelle au beau milieu de l’entrevue.

Il ne trouvait pas qu’elle parlait trop, il voulait simplement la prévenir qu’elle avait une mèche rebelle.

« Mes cheveux sont comme moi : ils ne sont pas dociles », lance-t-elle en rigolant.

C’est vrai qu’elle brasse de l’air, Marwah Rizqy.

Mais en même temps, elle est l’une des adeptes, à Québec, des initiatives transpartisanes. Elle m’explique qu’elle s’inspire de Véronique Hivon, l’ancienne députée péquiste reconnue pour son esprit de collaboration, avec qui elle a déjà fait équipe.

Elle en a tiré des leçons qu’elle dit mettre de l’avant dans ses dossiers en éducation.

« En politique, ça peut rapidement devenir un combat de coqs et on oublie alors l’essentiel. En éducation, l’essentiel, c’est la réussite des élèves. Mais pour que l’élève réussisse, il faut que tout le réseau réussisse », dit-elle.

Quel est donc, selon elle, le plus grand de tous les défis pour assurer la réussite des élèves à l’heure actuelle ? « C’est de retenir tout le monde. De l’enseignant aux directeurs d’école, du personnel de soutien aux professionnels de soutien. »

Elle rappelle qu’entre 20 % et 25 % des enseignants quittent le réseau dans les cinq premières années. Avant tout, c’est eux qu’on doit chercher à retenir plutôt que de rappeler ceux qui ont pris leur retraite, pense-t-elle.

Comment ? Elle propose trois pistes de solution potentielles :

D’abord, s’assurer que les enseignants obtiendront une permanence dans un délai raisonnable.

Ensuite, offrir à ces enseignants les ressources professionnelles (orthophonistes, orthopédagogues) dont leurs élèves ont besoin.

Enfin, revoir la composition de classe dans le but d’alléger la tâche des enseignants. « Il faut réaliser qu’avec le nombre d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) qui a augmenté, on ne peut nécessairement pas continuer avec les mêmes ratios. »

C’est pourquoi elle suggère au ministre Drainville de « se mêler de la négo » en cours pour le renouvellement des conventions collectives.

Marwah Rizqy a aussi des solutions à proposer pour atténuer les problèmes créés par l’école à trois vitesses.

Le concept est tout sauf une vue de l’esprit, affirme-t-elle de façon catégorique, contredisant le ministre Drainville à ce sujet.

À part le gouvernement qui dit qu’il n’y a pas de système à trois vitesses, tout le monde s’entend que le système est à trois vitesses.

Marwah Rizqy

Il y a le privé, le public et le public avec des projets pédagogiques particuliers. Et c’est cette dernière vitesse qui l’irrite tout particulièrement.

Elle a d’ailleurs déposé un projet de loi en février dernier pour rendre tous les projets pédagogiques particuliers gratuits dans les écoles primaires et secondaires de la province.

« Si un jeune se découvre au secondaire et voudrait essayer le football, mais on lui dit que le prix d’entrée est de 2000 $ et que ses parents ne l’ont pas, il ne pourra pas l’essayer. S’il veut essayer le basket à 3000 $, il ne pourra pas l’essayer », dénonce-t-elle.

« On est en train d’enlever des possibles à ces enfants-là avec des montants aussi exorbitants. »

En dressant le bilan de santé du réseau de l’éducation avec Marwah Rizqy, je ne peux m’empêcher de lui rappeler les restrictions budgétaires imposées par le Parti libéral quelques années avant que la CAQ ne s’empare du pouvoir.

« Je le comprends. Et je l’ai déjà dit. Mais ça ne peut pas être l’excuse », réplique-t-elle.

On est dans la cinquième année [du gouvernement caquiste]. Ils ont eu des surplus budgétaires record. Ce n’est jamais arrivé dans l’histoire, lors d’un changement de gouvernement, que les coffres soient aussi pleins.

Marwah Rizqy

« Quand vous avez presque 7 milliards de dollars dans les coffres, vous n’avez pas d’excuses de ne pas réussir », dit celle qui demeure convaincue que la situation s’est détériorée en éducation ces dernières années.

Elle cite notamment la pénurie d’enseignants qualifiés, qui a pris de l’ampleur.

« Le slogan de la CAQ, c’était faire plus, faire mieux. Je regarde cinq ans plus tard et c’est pire ! »

Elle invite ainsi le ministre Drainville à collaborer davantage avec les partis de l’opposition pour la suite de son mandat.

« Je pense qu’on n’a pas le choix en éducation, les défis sont trop grands. C’est énorme comme paquebot à faire tourner. Et plus on va être nombreux à ramer dans la même direction, ensemble, on va y arriver. »

En éducation, l’essentiel, c’est la réussite des élèves. Mais pour que l’élève réussisse, il faut que tout le réseau réussisse.

Marwah Rizqy

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