Pénurie d’enseignants, écoles vétustes, taux de décrochage trop élevé, problèmes d’apprentissage en hausse chez nos jeunes, etc. Avez-vous l’impression que le réseau de l’éducation au Québec est un véritable gâchis ?

Il y a de fortes chances que ce soit le cas.

Et ça inquiète le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville.

« Les problèmes sont bien réels et il faut s’y attaquer, reconnaît-il. Mais il ne faut pas perdre de vue la beauté de ce qui se fait dans nos écoles. »

Le mois prochain, ça fera un an que Bernard Drainville est en poste. Je voulais le rencontrer afin de faire le point sur ses priorités et sur ses remèdes aux problèmes du système. Je cherchais aussi à mieux comprendre sa vision.

À son avis, modifier le discours qu’on tient sur le réseau fait partie des conditions gagnantes.

« Si on n’arrive pas à trouver un équilibre entre tous les problèmes pour lesquels on cherche une solution et, d’autre part, la valorisation du beau travail qui se fait dans nos écoles, si tout ce qui se dit et se raconte sur l’éducation, c’est toujours ce qui va mal, on se tire dans le pied. C’est le chien qui court après sa queue. C’est le cercle vicieux. »

Dans son bureau, au 16e étage du complexe G, à Québec, Bernard Drainville hausse le ton lorsqu’il aborde ce sujet.

Par moments, lors de notre discussion, il prend aussi de courtes pauses, conscient de la valeur des silences lors d’une entrevue. Il a beau être devenu ministre, le côté théâtral de sa personnalité, qui le servait si bien à la radio, n’a pas disparu.

On se tire dans le pied, donc ? Explication : en pleine pénurie d’enseignants, il faut faire comprendre aux jeunes candidats potentiels qu’un poste dans le réseau n’est pas l’équivalent d’un séjour en enfer. C’est ce que souhaite le ministre.

Il reste qu’on ne peut pas non plus occulter les problèmes, il y en a à la pelletée. Il faut les résoudre.

« Je ne suis pas jovialiste du tout », prévient d’ailleurs Bernard Drainville, pour désamorcer d’éventuelles attaques à ce sujet.

Il faut dire que le ministre a appris à la dure, au cours de la dernière année, que le mammouth de l’éducation n’est pas facile à dompter. Il a dû éteindre plus de feux qu’un pompier.

Y compris ceux qu’il a lui-même allumés, comme lorsqu’il avait laissé entendre que le travail d’enseignant n’était pas comparable à celui de député.

« Il faut s’occuper de l’urgent sans perdre de vue l’important. Et l’important, c’est les changements structurels profonds. Plus profonds que la seule réaction à une crise épisodique ou ponctuelle », explique-t-il.

Parmi les changements profonds qu’il propose, il y a le projet de loi 23, deuxième réforme caquiste de la gouvernance scolaire.

« Il faut qu’on ait davantage de cohésion et de cohérence dans la manière de travailler ensemble. Il faut qu’on ait un réseau et non pas 72 composantes d’un réseau », dit-il, citant le nombre de centres de services scolaires à travers le Québec.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Bernard Drainville, ministre de l’Éducation, avec notre chroniqueur Alexandre Sirois

Le projet de loi – controversé – lui permettra notamment de nommer les directeurs généraux de tous les centres de services scolaires. Il va aussi lui accorder le pouvoir d’annuler les décisions prises par chacun de ces centres.

Ce n’est toutefois pas avec cette législation qu’on va régler des problèmes fondamentaux comme la pénurie d’enseignants. La preuve, c’est que le Ministère vient d’évaluer que si la tendance se maintient, la situation va continuer de se détériorer rapidement.

Il manquera 14 230 enseignants dans les écoles du Québec d’ici quatre ans, selon la plus récente analyse obtenue par le ministre. C’est alarmant.

C’est pourquoi Bernard Drainville en est rendu à explorer des solutions de dernier recours. C’est ainsi qu’il faut comprendre sa décision, la semaine dernière, de lancer un débat sur la durée du baccalauréat en enseignement. Il a demandé à ses fonctionnaires de voir s’il est possible de retrancher un an à la formation. On pourrait donc obtenir un brevet après un baccalauréat de trois ans au lieu de quatre.

« Actuellement, je suis dans un mode : sortons des sentiers battus, sortons des sillons, pensons en dehors de la boîte, envisageons ce que nous n’avons peut-être pas osé envisager par le passé », lance-t-il, tout en précisant que les nouvelles idées pourront être mises de côté si elles ne résistent pas à l’analyse.

La pénurie est pour lui une priorité, donc. Mais avant tout, me dit-il, c’est la réussite scolaire qui le préoccupe. « C’est la destination la plus importante. »

Il a devant lui un gros cartable blanc, rempli de pages gribouillées et surlignées, qu’il utilise pour la période des questions. Il l’ouvre, se met à énumérer la liste des diplômes et des qualifications accessibles aux jeunes et explique qu’il importe de « mettre en place des mesures » pour « être capable de maintenir et idéalement d’augmenter la réussite scolaire ».

Il craint que l’impact de la pandémie sur la réussite puisse être plus sérieux que ce qu’on a déjà constaté.

Je lui signale qu’un éminent spécialiste de la réussite, Égide Royer, m’a dit l’an dernier que le Québec a besoin d’une réforme urgente de la politique d’adaptation scolaire (qui soutient les élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage). J’ai droit à une fin de non-recevoir.

« Je dois d’abord stabiliser mes effectifs », réplique-t-il.

Bernard Drainville reconnaît que la composition de la classe est un « très grand défi ». La lourdeur de nombreuses classes est souvent citée par les enseignants et leurs syndicats comme LE facteur démobilisant.

« C’est ce que j’ai remarqué en premier quand j’ai commencé mes visites d’écoles, ça saute au visage. »

Il est loin de rester les bras croisés, plaide-t-il. Cette fois, ce qu’il énumère – mais sans utiliser son cartable –, c’est le chapelet de mesures visant à favoriser l’attraction et la rétention des enseignants.

De la hausse de la rémunération aux programmes de tutorat et de mentorat, en passant par l’ajout d’aides à la classe ainsi que la rénovation et la construction « de plus belles écoles ».

Bernard Drainville semble avoir posé le bon diagnostic quant aux problèmes du réseau. Et il est visiblement animé de bonnes intentions.

Mais je lui fais remarquer que c’était aussi le cas de son prédécesseur, Jean-François Roberge, ministre pendant le premier mandat de la CAQ.

Et lui aussi multipliait les mesures dans le but de régler les problèmes.

Alors qu’est-ce qui devrait nous faire penser que cette fois, ça va marcher ?

« Écoute, on met des moyens comme on n’en a jamais mis. À un moment donné, tu te dis : tous ces investissements que l’on fait vont finir par produire des résultats », répond-il.

Dans le contexte actuel, on ne demande qu’à le croire.

Si on veut recruter des jeunes dans l’enseignement, il faut qu’une fois de temps en temps, ils entendent parler de l’enseignement en positif.

Bernard Drainville

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