(Québec) La pénurie d’enseignants est telle que le gouvernement Legault remet désormais en question le baccalauréat en enseignement de quatre ans en vigueur depuis 1994.

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, songe à raccourcir à trois ans la durée de cette formation afin de la rendre plus attrayante et d’envoyer des renforts plus vite dans les écoles.

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Bernard Drainville, ministre de l’Éducation du Québec

Selon les informations obtenues par La Presse, il a mandaté ses fonctionnaires pour analyser sérieusement cette option.

Le baccalauréat de quatre ans est la voie principale pour obtenir un brevet d’enseignement et, ainsi, devenir un enseignant « légalement qualifié », comme on le dit dans le jargon.

Québec envisage de remettre le brevet après un baccalauréat en enseignement écourté à trois ans. La formation pourrait être condensée et les stages, raccourcis. Tous les scénarios sont sur la table.

Une autre option, qui implique toujours de limiter le bac à trois ans, serait de transformer la quatrième année en stage à temps plein, « rémunéré à 100 % », selon l’expression utilisée à Québec.

Le bachelier serait embauché et payé par un centre de services scolaire, qui l’encadrerait et le superviserait. Il serait titulaire d’une classe à temps plein, pour une année scolaire complète. Il obtiendrait officiellement son brevet d’enseignement après cet exercice d’un an, si ce scénario était retenu.

À l’heure actuelle, la quatrième année du baccalauréat est constituée de cours et de stages en milieu scolaire. La formule peut varier d’une université à l’autre.

Voie rapide

Bernard Drainville a promis en début d’année de créer une « voie rapide vers un brevet d’enseignement », mais il n’était jamais allé jusqu’à évoquer un bac raccourci. Il misait surtout sur la création d’une maîtrise qualifiante plus courte, de 30 crédits, destinée aux bacheliers de disciplines pertinentes.

Deux universités – TELUQ et Abitibi-Témiscamingue – offrent depuis peu une telle formation pouvant être achevée en un an et menant au brevet d’enseignement. Québec incite les autres établissements à emboîter le pas.

La maîtrise qualifiante régulière est de 60 crédits. Plusieurs années peuvent être nécessaires pour la terminer.

Le 23 août, au moment où plus de 8000 postes d’enseignants étaient non pourvus, le premier ministre François Legault disait qu’il n’était « pas un magicien » et qu’il pouvait difficilement envoyer plus de profs qualifiés dans le réseau.

« Un bac en éducation, actuellement, ça prend quatre ans, donc on ne peut pas espérer que ça aille vite », disait-il avant d’y aller d’une remarque passée sous le radar.

« On regarde aussi, ne serait-ce que de façon temporaire, est-ce qu’on peut mettre une formation universitaire qui est moins longue que quatre ans ? Donc est-ce qu’on est capables, peut-être, de prendre des mesures temporaires ? Je pense qu’il faut faire preuve de créativité. »

Il appréhendait déjà une levée de boucliers. « Bon, évidemment, quand on fait preuve de créativité, ça peut être interprété de toutes sortes de façons, comme si on voulait baisser les exigences. C’est sûr que, dans un monde idéal, tout le monde, Bernard le premier, moi aussi, on voudrait que 100 % des enseignants dans nos classes soient qualifiés avec un bac, avec brevet, mais on ne peut pas faire de magie. »

La vérificatrice générale Guylaine Leclerc a révélé au printemps que près de 30 000 enseignants, soit près du quart des effectifs, étaient non légalement qualifiés en 2020-2021. Cela signifie qu’ils n’avaient pas de brevet d’enseignement.

« Oui, il va y avoir beaucoup de non légalement qualifiés cette année nécessairement » en raison de la pénurie, reconnaissait Bernard Drainville à la veille de la rentrée scolaire. Il disait espérer à tout le moins « un adulte » par classe, quitte à ce que cette personne n’ait aucune formation universitaire.

À Québec, on s’attend à ce que les universités résistent à l’instauration d’un baccalauréat en enseignement de trois ans. Il y aura un débat sur le fond… mais aussi sur les fonds : retrancher une année de formation signifierait des revenus en moins.

Néanmoins, conscientes des besoins criants dans les écoles, quelques universités, dont celle de Sherbrooke, commencent à remodeler la formation pour permettre un véritable stage en emploi à temps plein lors de la quatrième année. Les cours seront donnés le soir ou le week-end. Il s’agit de projets pilotes en vigueur depuis la rentrée ou alors de programmes particuliers qui verront le jour prochainement.

Recrutement difficile

Québec peine à augmenter la popularité du baccalauréat en enseignement. Malgré une bourse créée l’an dernier pour les étudiants à temps plein (2500 $ par session pour un total de 20 000 $ à la fin du bac). Et malgré une hausse de 15 % du salaire des enseignants en début de carrière.

Un enseignant gagne 53 541 $ au pied de l’échelle et 92 027 $ au sommet.

Quelques universités ont signalé à la rentrée une hausse des inscriptions sur la base de données préliminaires, mais on attend toujours un portrait officiel.

Or, les inscriptions aux baccalauréats en enseignement étaient en baisse l’an dernier, selon les données du Bureau de coopération interuniversitaire. Elles ont diminué de 2,3 % à l’automne 2022 par rapport à l’automne 2021. Cela a effacé la hausse équivalente survenue entre 2020 et 2021. Il y avait 17 887 étudiants inscrits à temps plein et à temps partiel aux programmes de baccalauréat menant au brevet d’enseignement à l’automne 2022.

Entre 2004 et 2022, le nombre de nouvelles inscriptions au baccalauréat en enseignement secondaire a fondu de 1286 à 989. Dans le cas du bac en éducation préscolaire et en enseignement primaire, ce nombre est passé de 1531 à 1789.

Une version antérieure de ce texte indiquait que l’Université de Sherbrooke offre une maîtrise qualifiante, plus courte, de 30 crédits. Ce n’est pas le cas. Cette université a plutôt créé un autre programme visant à reconnaître les acquis d’enseignants non légalement qualifiés.

Une bourse de 25 000 $ pour les futurs psychologues scolaires

Québec crée une nouvelle bourse de 25 000 $ destinée aux étudiants en psychologie qui acceptent d’intégrer le réseau de l’éducation au terme de leur formation. Les futurs diplômés devront s’engager à exercer leur profession dans les écoles au moins trois jours par semaine pendant deux ans afin de toucher la cagnotte. Cette bourse s’ajoute à une autre, également de 25 000 $, pour les étudiants en psychologie qui font leur internat dans le réseau public. Pour un étudiant qui fait son stage dans le secteur public et qui commence sa carrière dans le réseau de l’éducation, les bourses totaliseront donc 50 000 $.

Une réforme sur fond de tensions

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La question des voies rapides vers le brevet est source de tensions entre les syndicats et le milieu de l’éducation.

Le ministre Bernard Drainville entreprend une révision du baccalauréat en enseignement alors que la question des voies rapides vers le brevet est source de tensions entre les syndicats et le milieu de l’éducation depuis l’an dernier. Il y avait aussi eu des flammèches quand le gouvernement a adopté le bac de quatre ans en 1994.

Démissions en bloc

Un conflit entre le gouvernement et le milieu de l’éducation a éclaté au grand jour l’an dernier. C’était au moment où le prédécesseur de M. Drainville, Jean-François Roberge, autorisait la maîtrise qualifiante de 30 crédits dans trois universités sans attendre l’avis de son comité d’experts, le Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE). Les membres de ce comité ont démissionné en bloc en mai parce que la réforme de Bernard Drainville (projet de loi 23) prévoit l’abolition du CAPFE. Le futur institut national d’excellence en éducation, prévu au projet de loi, serait chargé de rendre des avis au ministre sur les programmes de formation, mais il n’aurait qu’un pouvoir de recommandation. Les syndicats accusent le ministre de vouloir créer des formations au rabais.

Prudence, dit le Conseil supérieur de l’éducation

Le Conseil supérieur de l’éducation, dont le mandat sera amputé en vertu de la réforme Drainville, relève depuis longtemps des difficultés de recrutement d’enseignants et considère la pénurie comme « une véritable crise de société ». Il a néanmoins soulevé dans les dernières années d’importantes préoccupations au sujet de mesures adoptées par le gouvernement pour donner accès plus rapidement au brevet d’enseignement. Il est nécessaire selon lui de maintenir une solide formation initiale pour offrir un enseignement de qualité aux élèves. Il s’est tout de même montré favorable à la reconnaissance des acquis pour accéder à la profession. Il publiera bientôt un « rapport sur l’état et les besoins en éducation », qui portera sur les voies d’accès à la profession enseignante dans un contexte de pénurie.

Des flammèches en 1994

Il y a eu des flammèches aussi lorsque, à la toute fin de son mandat, le gouvernement libéral de Daniel Johnson a instauré le bac en enseignement de quatre ans. Jacques Chagnon, qui venait tout juste de prêter serment à titre de ministre de l’Éducation en 1994, avait pris cette décision, estimant que le bac de trois ans était une formation trop théorique. Les diplômés étaient mal préparés à la pratique en classe, selon lui. Avec l’ajout d’une année de formation, il avait augmenté considérablement le nombre d’heures de stage. Les universitaires ont un « langage ésotérique », « ont perdu le contact avec ce qui se fait dans les classes » et doivent « revenir les pieds sur terre, dans la pratique », lançait-il, soulevant la controverse. Avec sa réforme, les bacheliers d’autres disciplines n’ont plus eu accès à un certificat d’un an pour devenir enseignants.

Un surplus au lieu d’une pénurie

Le contexte était tout autre en 1994. Le ministère de l’Éducation soutenait à l’époque que le Québec n’était nullement en pénurie d’enseignants. Il y avait plus de diplômés en enseignement chaque année que de postes à pourvoir dans le réseau, disait-il. Beaucoup héritaient de postes à temps partiel seulement. On voyait malgré tout poindre un revirement de situation : environ 40 000 enseignants allaient prendre leur retraite d’ici dix ans, prévoyait-on en 1994. On y voyait surtout une bonne occasion de revoir la formation en enseignement, au moment où il y avait un changement dans les modèles familiaux, une présence plus grande d’élèves issus de communautés culturelles et un décrochage scolaire en hausse. La réforme Chagnon a provoqué une baisse des nouvelles inscriptions dans les baccalauréats en enseignement au cours de la deuxième moitié des années 1990.