Nos enseignants ne manquent pas d’idées pour améliorer notre système d’éducation.

La semaine dernière, nous avons demandé aux enseignants d’envoyer leurs idées pour améliorer la réussite scolaire des élèves. Soixante-dix profs, actifs ou retraités, ont pris la plume.

D’abord, pour savoir où intervenir, ciblons les priorités. Là où ça coince. Ce qui revient constamment dans leurs réponses : il faut réduire la lourdeur de la charge et des classes. Particulièrement à l’école publique, où il y a beaucoup plus d’élèves en difficulté d’apprentissage.

« Les besoins des élèves ont augmenté, mais pas les services [d’aide pour les élèves], constate Patrick Pelletier, qui enseigne le français au secondaire depuis 27 ans dans une école publique. Avant, les soutiens étaient plus présents et plus visibles dans la classe. Aujourd’hui, en pratique, les psychologues et les psychoéducateurs sont une denrée rare. On manque même de surveillants. »

Les profs ont raison : leurs classes sont devenues beaucoup plus difficiles depuis deux décennies. Au Québec, le nombre d’élèves en difficulté (ou avec un plan d’intervention) a plus que doublé en 21 ans, passant de 103 546 à 235 144. Le nombre total d’élèves est resté relativement stable, à environ 1 million⁠1.

23 %

Proportion des élèves dans les écoles publiques qui ont un handicap, des difficultés d’apprentissage ou qui ont un plan d’intervention (primaire et secondaire).

Source : mémoire d’Égide Royer en commission parlementaire en juin 2023

Il y a donc davantage d’élèves en difficulté. Ou on les dépiste mieux. Ou les deux.

Par contre, Québec a ajouté beaucoup de ressources d’aide comme les orthopédagogues et les techniciens en éducation spécialisée (TES). En 14 ans (entre 2007-08 et 2021-22), le nombre d’orthopédagogues a augmenté de 121 %, le nombre de TES de 152 %. En guide de comparaison, le nombre d’élèves en difficultés ou avec un plan d’intervention a augmenté de 127 % en 21 ans.

Sur le terrain, beaucoup de profs estiment néanmoins que les ressources d’aide sont insuffisantes. Au secondaire, dans un programme régulier du public, il n’est pas rare de voir des classes où la moitié des 30 élèves ont un plan d’intervention pour leurs difficultés d’apprentissage. La tâche des profs s’est donc incroyablement complexifiée.

« Quand tu accumules toutes ces petites choses supplémentaires à faire pour le prof [en raison des plans d’intervention], ça fait une différence », dit Patrick Pelletier.

C’est aussi comme si le système scolaire avait abandonné les élèves moyens et forts. Si je mets un paquet de temps avec les élèves en difficulté, j’ai forcément moins de temps pour les autres. Je ne peux pas me séparer en huit.

Patrick Pelletier, enseignant dans une école publique depuis 27 ans

Avec cette charge de travail supplémentaire, pas étonnant que 25 % des jeunes profs quittent le métier durant leurs cinq premières années, ce qui aggrave la pénurie de main-d’œuvre dans nos écoles publiques. La lourdeur des tâches incite aussi des enseignants expérimentés à prendre leur retraite plus tôt. Deux semaines après la rentrée, il manquait 1032 enseignants dans la province.

Certains parents ajoutent aussi à la lourdeur des tâches. Comprenons-nous : de 80 à 90 % des parents ont un comportement exemplaire, soulignent les profs consultés. Mais une infime minorité de parents agissent comme des parents-rois avec leurs demandes incessantes et leurs courriels irrespectueux. Ces parents-rois grugent beaucoup de temps et d’énergie mentale.

Finalement, on ne peut pas aborder le problème de la lourdeur des classes sans parler de notre système d’école à trois vitesses (privé, public particulier et public). Au secondaire, le tiers (32 %) des élèves au public ont un plan d’intervention pour leurs difficultés, contre 18 % des élèves au privé. « Les tâches des enseignants ne sont pas équitables en fonction de nos trois vitesses », dit Égide Royer, psychologue spécialisé en éducation.

Maintenant qu’on a ciblé le principal problème, on fait quoi ?

Pour alléger les tâches des enseignants, une suggestion revient souvent de la part des profs : réduire la taille des classes.

Quoi, réduire la taille des classes en pleine pénurie d’enseignants ? Ça ne risque pas au contraire d’aggraver le problème ? Oui, à court terme. Mais à long terme, « ça éviterait que 25 % des profs quittent en moins de cinq ans », dit Rosalie Meloche-Dumas, enseignante de français au secondaire dans une école privée de la couronne nord.

Il y a un débat sur la taille des classes et la réussite des élèves. Peu importe où on loge, il faut toutefois reconnaître que le Canada est l’un des pays où le ratio d’élèves par classe est le plus élevé…

De 19 à 32

Nombre d’élèves maximal par classe à l’école dans les milieux réguliers. Ça va d’un maximum de 19 élèves par classe à la maternelle (5 ans) à un maximum de 32 élèves par classe à la fin du secondaire.

Source : ministère de l’Éducation du Québec et convention collective de la CSQ

***

Au fond, ce qu’il faut faire ultimement pour redorer le blason de l’éducation, c’est de valoriser davantage le métier d’enseignant.

« Il faut changer les croyances populaires à propos de cette profession, dit Rosalie Meloche-Dumas, enseignante de français au secondaire qui rêve de davantage de séries télé et de documentaires sur le milieu de l’éducation. Tout le monde a l’impression de savoir enseigner parce qu’ils sont déjà allés à l’école, mais ils ne savent pas ce que ça fait, un prof. »

Transmettre des savoirs à un ado de 16 ans pour qu’il comprenne, c’est vraiment plus difficile que ça en a l’air.

Rosalie Meloche-Dumas, enseignante au secondaire

Valoriser le métier de prof, ça veut dire plein de choses. Dont hausser les salaires. Les syndicats de profs demandent une hausse salariale de 21 % sur trois ans (9 % plus l’inflation). Québec offre 10,5 % sur cinq ans (13 % en comptant des améliorations dans les conditions de travail autres que le salaire). On n’est pas sortis du bois.

92 027 $

Salaire annuel d’un enseignant au dernier échelon de l’échelle salariale après 14 ans d’expérience, en date du 1er septembre 2023.

Source : convention collective de la CSQ

Mais ce n’est pas qu’une question d’argent.

Si le gouvernement Legault couvre d’or les profs, mais qu’il ne change rien à l’aide à la classe, au ratio maître/élèves, à la quantité de paperasse à remplir, à l’inflexibilité de certaines directions d’école à permettre le télétravail pour les tâches autres que l’enseignement (par exemple, la correction et la préparation de classe), aux multiples contrats morcelés des jeunes enseignants, à la formation des enseignants (particulièrement pour intervenir avec des élèves en difficulté), au manque de locaux, à l’état vétuste de certaines écoles, à la valorisation de la profession pour le grand public, on ne sera pas beaucoup plus avancés.

Bien sûr, Québec ne peut pas tout faire ça avec un coup de baguette magique. Mais il devrait prendre bonne note des suggestions des profs.

Ils savent de quoi ils parlent.

⁠1 Ces chiffres sont tirés d’un mémoire d’Égide Royer. Le ministère de l’Éducation a été incapable de nous fournir le nombre total d’élèves au Québec.

Québec consacre-t-il plus de ressources aux élèves en difficulté ?

Les profs ont l’impression généralisée qu’ils ont moins d’aide qu’avant pour leurs élèves en difficulté. On a voulu vérifier. La question pour le ministère de l’Éducation était donc simple : a-t-on haussé le nombre d’orthopédagogues et de techniciens en éducation spécialisée dans nos écoles depuis 15 ans ? Québec a été incapable de répondre avant la publication de cet article. Au centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), le nombre d’orthopédagogues a presque triplé (de 141 à 405) et le nombre de techniciens en éducation spécialisée (TES) a presque doublé (de 419 à 809) depuis 14 ans. Le nombre d’élèves a augmenté de 10 % durant la même période.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue