« Je peux affirmer que l’accès à une transition médicale m’a sauvé la vie. Et ce ne sont pas des mots que j’utilise à la légère. C’est très, très sérieux. »

Celui qui parle s’appelle Maël Ste-Marie. Il a 18 ans et étudie au cégep en sciences humaines au Collège Champlain, en Estrie.

Au téléphone, je prononce le mot « suicide » avec précaution. Une enquête canadienne a montré que 64 % des jeunes trans ont envisagé le suicide au cours de la dernière année et que 21 % ont fait une tentative1. C’est bien ce qu’évoque ici Maël ?

« Oui, absolument », dit-elle avec un aplomb qui saisit.

Un mot, avant d’aller plus loin, sur les pronoms. Maël est une personne trans non binaire, donc qui ne se considère ni comme un homme ni comme une femme. Je lui ai demandé si je devais utiliser le pronom « il » ou « elle » dans ma chronique. Il m’a suggéré d’alterner les deux.

La transition médicale de genre, Maël fait partie des rares à pouvoir en parler à la première personne. Elle vient tout juste de la vivre.

Née dans un corps de fille, Maël a 10 ans quand elle commence à ressentir un malaise par rapport à son corps et à la façon dont les autres la perçoivent.

« Je n’avais pas les mots pour décrire comment je me sentais, mais ça me causait beaucoup de détresse », dit-il.

C’est la bande dessinée Assignée garçon, de l’autrice québécoise Sophie Labelle, qui l’aide à mieux comprendre.

À 13 ans, Maël fait son coming out comme personne trans non binaire à sa famille et à l’école. L’accueil est généralement bon.

Mais comme pour plusieurs trans, la puberté est pour elle une grande source d’angoisse.

C’était au point que j’étais incapable de me regarder dans le miroir. Quand j’étais menstruée, j’avais envie de mourir. Ça me rendait complètement fou, cette idée que mon corps était aussi détaché de ma personne.

Maël Ste-Marie

Après un processus qu’elle juge long à l’époque, on lui offre, à l’âge de 14 ans, des bloqueurs d’hormones qui stoppent sa puberté. Plus tard, la prise de testostérone lui donne des traits plus masculins.

Aujourd’hui, Maël a un corps qui n’est ni très féminin ni très masculin. Et pour l’instant, ça lui convient tout à fait.

« Je suis arrivé à un point où je me sens bien dans mon corps et dans mon identité. C’est un grand soulagement », dit-elle.

Elle avoue frissonner en voyant un parti fédéral en avance dans les sondages adopter une motion visant à interdire ce dont elle a pu bénéficier.

C’est quelque chose qui m’effraie vraiment beaucoup. Être un jeune trans, c’est déjà quelque chose de très difficile. L’accès aux services est loin d’être facile. L’idée que ça devienne encore plus difficile et potentiellement impossible, ça me terrifie.

Maël Ste-Marie

Des transitions qui fonctionnent

Le bien-être ressenti par Maël Ste-Marie en effectuant une transition de genre sociale et médicale est loin d’être anecdotique : il est la norme.

Une étude américaine menée auprès de 103 jeunes trans et/ou non binaires a par exemple montré qu’après un an de suivi, les interventions, notamment les bloqueurs d’hormones et la prise d’hormones, ont fait chuter la prévalence de dépression de 60 % et celle d’idées suicidaires, de 73 %2.

Les études de ce type sont souvent critiquées parce qu’elles ne comptent pas de groupe témoin. On ignore quelle aurait été l’évolution des mêmes jeunes sans interventions.

Une étude australienne qui vient tout juste d’être publiée a toutefois astucieusement contourné le problème en recrutant des patients se trouvant sur une liste d’attente pour subir des interventions médicales⁠3.

Les chercheurs se sont arrangés pour que la moitié des participants puissent échapper à la liste d’attente et obtenir leur intervention rapidement. Ils ont ensuite comparé la santé mentale de ces patients avec ceux qui n’avaient pas encore eu accès aux interventions.

Résultat : là encore, on a montré une réduction de la dépression et des idées suicidaires chez ceux qui avaient eu accès aux interventions.

Certains regrettent-ils d’avoir changé leur corps de façon irréversible ? Les spécialistes que nous avons consultés admettent que ça arrive. Il s’agit d’une question à prendre au sérieux, surtout lorsque les interventions sont faites sur des mineurs.

On ne peut toutefois pas nier le fait documenté que de façon générale, les interventions médicales sur les trans contribuent à sauver des vies malheureuses. Et même à sauver des vies tout court.

1. Consultez les résultats de l’enquête canadienne sur la santé des jeunes trans et non binaires 2. Consultez une étude américaine (en anglais) 3. Consultez une étude australienne (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue

Besoin d’aide pour vous ou un proche ?

Ligne québécoise de prévention du suicide : 1 866 APPELLE (277-3553)

Consultez le site de l’Association québécoise de prévention du suicide