Alors que des personnes manifestent contre l’enseignement de la notion d’identité de genre dans les écoles, de quoi s’agit-il exactement ? La Presse s’est entretenue avec le sociologue et sexologue Martin Blais, titulaire de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres, pour y voir plus clair.

L’histoire jusqu’ici

9 septembre

Les militants du Parti conservateur du Canada, réunis en congrès à Québec, adoptent une résolution pour qu’un gouvernement conservateur interdise les interventions médicales ou chirurgicales « qui changent la vie des mineurs pour traiter la confusion ou la dysphorie de genre ».

13 septembre

Après avoir interdit les toilettes mixtes dans les écoles, le ministre de l’Éducation du Québec, Bernard Drainville, annonce que le gouvernement Legault formera un comité de « sages » pour étudier les enjeux soulevés par l’identité de genre. L’objectif est de guider les décideurs, comme les directions scolaires, face aux besoins des personnes trans et non binaires.

20 septembre

Plusieurs villes du pays sont le théâtre de manifestations dénonçant l’enseignement de l’identité de genre à l’école. Ils font face à des contre-manifestants pour les droits des personnes trans.

21 septembre

Le premier ministre François Legault lance un appel au calme dans le débat entourant l’identité de genre. Il n’exclut pas de modifier des lois ou des politiques concernant la communauté LGBTQ+ au terme de travaux que réalisera prochainement un comité de « sages ».

Plongeons au cœur du débat : qu’est-ce que l’identité de genre ?

L’identité de genre est un sentiment subjectif, qui est propre à chaque personne et qui renvoie au sentiment d’être un homme, une femme, de n’être ni un homme ni une femme, d’être parfois un homme, parfois une femme. C’est un sentiment intérieur profond relativement stable d’être d’un genre, de plusieurs genres ou d’aucun genre. Ce sentiment, il n’y a que la personne même qui peut l’identifier, car il se vit différemment pour différentes personnes.

Pour la majorité des gens, que l’on dit cisgenres pour les distinguer des personnes trans, leur sentiment subjectif d’identité de genre correspond au sexe et à l’identité du genre qui leur a été assigné à la naissance. C’est le cas de la majorité des personnes, mais de tout temps, à travers l’histoire et dans toutes les cultures, on constate qu’il y a de manière persistante une proportion de personnes pour qui il n’y a pas de congruence entre l’identité de genre qui se développe et l’identité de genre et le sexe à la naissance.

Que dit la littérature scientifique du pourcentage de la population qui n’est pas cisgenre ?

Le chiffre que nous avons, qui provient d’une méta-analyse publiée à partir des études produites à travers le monde, indique qu’il y a entre 1,2 % et 2,7 % d’enfants trans, donc des enfants et des adolescents pour qui l’identité de genre ne correspond pas à celle qui leur a été assignée à la naissance sur la base de leurs organes génitaux. Il y a aussi entre 2,5 % et 8,4 % des enfants et des adolescents, selon ces études, que l’on décrit comme étant créatifs dans leur genre, c’est-à-dire que leur expression de genre et le rôle de genre qu’ils et elles adoptent ne correspondent pas non plus à leur anatomie et à l’identité du genre qu’on leur a assigné à la naissance.

Que devrait-on enseigner aux enfants d’âge préscolaire, primaire et secondaire au sujet de l’identité de genre ?

Il y a toujours eu dans l’éducation à la sexualité une partie qui vise à développer un sens critique par rapport aux prescriptions sociales sur le genre. C’est aussi élémentaire que des questions comme : Est-ce que c’est vrai qu’un garçon n’a pas le droit de pleurer ? Est-ce que c’est vrai qu’une fille ne peut pas jouer avec des camions ? Cette éducation par rapport aux normes sociales vise à combattre les stéréotypes sexistes et à s’assurer que les enfants ne grandissent pas avec des stéréotypes qui renforcent le sexisme.

Pendant longtemps, ce qu’on appelait l’éducation à la sexualité était une éducation à l’hétérosexualité, dans la mesure où tous les exemples qui étaient donnés montraient des couples hétérosexuels ou des familles hétéroparentales, par exemple. L’éducation à la sexualité échouait pour les jeunes LGBTQ+.

Si on veut faire une éducation à la sexualité qui fonctionne, elle doit être adaptée à [la pluralité de] ce que vivent les jeunes à qui elle est destinée. L’éducation à la sexualité vise à outiller les jeunes dans les différentes situations qu’ils sont susceptibles de vivre. Ça vise aussi à leur donner un cadre de référence pour faire face à ce que vivent les autres et à développer une empathie. À travers ça, on forme des citoyens qui ne vont pas se crier après, comme on l’a vu dans les manifestations.

Ceux qui critiquent l’approche en éducation qui enseigne la notion d’identité de genre parlent souvent de la « théorie » du genre, ou des « idéologies » du genre. Pourquoi ?

Il faut bien constater que l’identité de genre ne converge pas toujours avec le sexe anatomique des gens. Les personnes trans et non binaires, elles existent, elles sont là, alors évidemment que la littérature scientifique en témoigne.

[Associer l’identité de genre] au mot « théorie » a d’abord été fait par le Vatican dans les années 1990. C’est pour dire que ça reste à démontrer. Un peu comme on parle de la « théorie de l’évolution ». À moins d’être créationniste, on estime que cette théorie est appuyée sur des données probantes. En utilisant le mot « théorie », on met l’accent pour dire que c’est une vision spécifique qui n’est pas une vision universelle. Que ce n’est pas la réalité, mais une théorie. Or, la « théorie » du genre, comme certains disent, s’appuie sur des faits, des constats et des études sur des centaines de milliers de personnes à travers le monde.

Il y a un débat en ce moment sur ce qui doit être enseigné ou non aux enfants dans le réseau scolaire sur l’identité de genre. Comment espérez-vous que ce débat se fasse ?

Je pense qu’on doit le mener sur des faits et avec une écoute attentive des personnes qui passent ou qui sont passées à travers ce cheminement. C’est pour elles que sont mises en place ces différentes procédures et c’est souvent une question de vie ou de mort. Il faut les entendre et il faut écouter les experts.

Les questions et les réponses ont été reformulées par souci de concision.

Enfants trans : aucune intervention en chirurgie génitale chez les mineurs

La question de l’accompagnement médical des enfants trans a fait l’objet de plusieurs débats, ces dernières semaines. Plus tôt ce mois-ci, réunis en congrès à Québec, les membres du Parti conservateur du Canada ont adopté une résolution pour interdire les interventions médicales ou chirurgicales « qui changent la vie des mineurs pour traiter la confusion ou la dysphorie de genre ».

Cette semaine, lors d’une manifestation organisée par One Million March for Children, une femme a déclaré à La Presse que « les enfants ne peuvent pas voter, boire de la bière, fumer ou prendre de la drogue, mais ils peuvent se faire enlever leur poitrine ou leur pénis ». Elle demandait que les mineurs reçoivent des soins psychologiques avant leur majorité et avant de consentir à des interventions médicales lourdes de conséquences.

Questionné par La Presse, le Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, où il y a une Clinique de diversité de genre, a précisé que « l’accès aux chirurgies d’affirmation de genre est possible seulement à partir de 16 ou 18 ans, selon certains critères précis, et à la suite d’une longue période d’accompagnement. Seule la mastectomie est possible à partir de 16 ans. Aucune [intervention en] chirurgie génitale n’est effectuée avant l’âge de 18 ans ».

Par ailleurs, Martin Blais, de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres, rappelle qu’il n’y a « aucune transition médicale chez les enfants prépubères » au Québec. Ces enfants (et leurs parents) sont suivis par une équipe composée de professionnels qui les accompagnent d’abord dans une « transition sociale », comme le fait de changer dans un premier temps de nom ou de pronom dans certains contextes.