(Ottawa) Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, ne voit pas de différence entre le recours à la disposition de dérogation dans la Loi sur la laïcité de l’État et l’intention du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan de l’utiliser pour mettre leurs politiques sur les enfants transgenres à l’abri des contestations judiciaires. La volonté de ces deux provinces risque d’ailleurs de nuire aux efforts du Québec pour affirmer sa spécificité, selon le constitutionnaliste Patrick Taillon.

Ce qu’il faut savoir

Des manifestations contre « l’idéologie du genre dans les écoles » ont eu lieu dans de nombreuses villes au pays mercredi.

Elles étaient organisées par One Million March for Children, un groupe composé notamment de militants musulmans conservateurs, de membres de la droite religieuse et de sympathisants du « convoi de la liberté ».

Le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan ont adopté des politiques qui empêchent les jeunes trans de changer de pronom ou de nom à l’école sans que leurs parents soient avisés.

« C’est la même chose », a répondu M. Singh lorsque La Presse lui a demandé si le Québec avait en quelque sorte ouvert la voie à la banalisation de son usage. Le chef néo-démocrate participait mercredi à une contre-manifestation pour affirmer les droits de la communauté LGBTQ+ dans la capitale fédérale.

« Je pense que c’est un autre exemple de l’abus de cette clause dérogatoire quand les provinces l’utilisent pour abroger ou pour violer les droits de la personne, a-t-il précisé. Ça, c’est un problème et ça montre qu’on doit trouver des solutions pour arrêter cette pratique. »

Le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, n’avait pas exclu la veille d’utiliser cette disposition dans un projet de loi visant à officialiser les changements apportés à la politique 713 qui visait à assurer un environnement inclusif aux élèves LGBTQ+. Les jeunes trans ne peuvent plus changer de pronom ou de nom à l’école sans que leurs parents soient avisés.

PHOTO STEPHEN MACGILLIVRAY, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs

La Saskatchewan a adopté une politique similaire et son premier ministre, Scott Moe, a affirmé la semaine dernière qu’il était prêt à utiliser la disposition de dérogation. Les deux provinces sont aux prises avec des contestations judiciaires.

La disposition de dérogation permet à une législation de déroger à certains articles de la Charte canadienne des droits et libertés comme le droit à l’égalité, à la sécurité et à la religion. Elle a été invoquée au Québec dans la Loi sur la laïcité de l’État adoptée par le gouvernement de François Legault en 2019.

« Je ne suis pas sûr qu’on devrait se dire que c’est une bonne chose pour les intérêts du Québec qu’on soit imité sur des dossiers qui n’ont rien à voir avec ce pour quoi nous, on l’utilise », fait remarquer le constitutionnaliste Patrick Taillon.

« Notre rapport à la langue, notre rapport à la religion, ça, c’est des questions existentielles, et eux, ils vont sur d’autres dossiers, ça risque de créer de la distorsion dans le débat. »

Il croit que la Cour suprême pourrait être tentée de vouloir réguler l’usage de la disposition de dérogation si elle est saisie de l’une de ces contestations.

Deux manifestations s’opposent

De nombreuses villes au pays ont été le théâtre mercredi de rassemblements contre « l’idéologie du genre dans les écoles » et de contre-manifestations pour défendre les droits de la communauté LGBTQ+.

À Montréal, deux groupes se sont affrontés devant le bureau du premier ministre François Legault, en plein cœur du centre-ville de Montréal, tandis qu’à Ottawa, une rangée de policiers séparait les manifestants près de la colline du Parlement.

Les manifestations contre l’idéologie du genre étaient organisées par One Million March for Children, un groupe composé de militants musulmans conservateurs, de membres de la droite religieuse et de sympathisants du « convoi de la liberté ».

Des gens de confession musulmane et chrétienne côtoyaient des adeptes du Parti populaire du Canada pour s’opposer au changement de pronom, à l’idéologie des genres et aux toilettes mixtes dans les écoles.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Deux groupes de manifestants se sont opposés mercredi sur la colline du Parlement, signe de la polarisation suscitée par la question de l’identité de genre.

Melanie Alexander, qui faisait partie du groupe, soutient les politiques du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan, tout comme les résolutions adoptées récemment lors du congrès du Parti conservateur du Canada.

« C’est ce que nous voulons, a dit la femme de confession chrétienne. Les adultes peuvent faire ce qu’ils veulent de leur corps, alors que les enfants ne peuvent pas voter, boire de la bière, fumer ou prendre de la drogue, mais ils peuvent se faire enlever leur poitrine ou leur pénis. Cela crée des gens qui seront malades pour le reste de leur vie. »

Elle préférerait qu’ils aient accès à une aide psychologique avant leur majorité avant de consentir à des interventions médicales lourdes de conséquences.

Les délégués conservateurs ont adopté avec une forte majorité de 69,2 % une résolution pour interdire les interventions médicales ou chirurgicales « qui changent la vie des mineurs pour traiter la confusion ou la dysphorie de genre » lors du congrès de leur parti qui s’est déroulé à Québec, il y a un peu plus d’une semaine. Ils ont également voté pour que certains espaces, comme les toilettes et les vestiaires, soient réservés aux femmes et excluent les personnes trans.

Ce genre de politique risque plutôt de mener à de la détresse, a fait valoir Kate Hurman, mère d’un jeune adulte trans, qui a participé à la contre-manifestation pour affirmer ses droits. « On sait déjà que l’intimidation et la haine mènent à des idées suicidaires », a-t-elle commenté. « S’ils ne révèlent pas [leur identité de genre] à leurs parents, il y a de fortes chances que c’est parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité », a-t-elle ajouté en faisant allusion à la politique du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan.

Avec Vincent Larin et Henri Ouellette-Vézina, La Presse