Combien de mineurs subissent chaque année une intervention chirurgicale génitale afin de changer de sexe au Québec ?

La réponse est presque assurément… zéro. Et c’est sans doute la même chose dans l’ensemble du Canada.

Cela fait partie des choses que j’ai apprises en fouillant la question de l’identité de genre. Des informations qui sont malheureusement étouffées dans le vacarme des opinions à l’emporte-pièce qui déferlent ces jours-ci.

« Un gouvernement conservateur va protéger les enfants en interdisant les interventions médicales et chirurgicales chez les mineurs de moins de 18 ans […] pour traiter la confusion de genre ou la dysphorie de genre », a-t-il été proposé au dernier congrès annuel du parti.

La motion a été adoptée à 69 %.

Cela a déclenché une (autre) guerre de tranchées. Une guerre ravivée par le débat sur le genre des toilettes, puis par celui sur ce qu’on enseigne au sujet des personnes trans à l’école.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Participants au congrès national du Parti conservateur du Canada réunis en congrès à Québec plus tôt ce mois-ci

Mon premier réflexe était de faire une chronique cinglante pour dénoncer l’instrumentalisation de jeunes qui figurent parmi les plus vulnérables de notre société, le tout par des politiciens qui cherchent à diviser pour avoir des votes.

J’ai décidé de changer de ton, en tout cas pour débuter.

Plutôt que de soulever encore plus de poussière, j’ai voulu revenir aux faits. Que se passe-t-il lorsqu’un jeune affirme ne pas se sentir bien dans son corps ? Quelles sont les interventions possibles ? Qui prend les décisions, et comment ?

Pour plus de simplicité, je me suis penché sur la situation québécoise. Celles des autres provinces ne sont pas si différentes – et, sinon, les possibilités des jeunes trans y sont généralement plus restreintes.

D’abord, les chiffres. En Amérique du Nord, les sondages révèlent que de 1 à 2 % des adolescents s’identifient comme transgenres, non-binaires ou en questionnement par rapport à leur identité.

Ces gens sont loin de tous se retrouver dans le cabinet du médecin pour réclamer une intervention chirurgicale.

Il existe en fait trois catégories de transition.

1) La transition sociale, où l’adolescent change ses vêtements, son prénom ou ses pronoms pour affirmer son identité de genre.

2) La transition légale, qui implique de changer son prénom ou son genre sur ses documents officiels.

3) La transition physique, visée par la motion conservatrice.

Un enfant ou un adolescent qui se sent mal dans son corps se confiera généralement d’abord à un intervenant comme un psychologue ou un sexologue.

Quand le malaise persiste, un médecin spécialisé intervient.

J’en ai contacté un qui consacre sa pratique aux transitions de genre auprès des adolescents.

Signe que le débat a complètement dérapé, il a accepté de me parler, mais à condition de ne pas être nommé. Des interventions passées dans les médias lui ont valu un déluge de messages haineux et il craint maintenant les risques pour lui et pour ses patients.

On va se le dire, ça fait dur.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Des manifestants réunis par One Million March for Children, un groupe composé de militants musulmans conservateurs, de membres de la droite religieuse et de sympathisants du « convoi de la liberté », ont fait sentir leur présence la semaine dernière au pays, notamment devant les bureaux montréalais du premier ministre François Legault.

Ce médecin m’explique qu’il met du temps avant de pratiquer une procédure médicale sur un ado, même si celui-ci la réclame avec impatience et a déjà fait l’objet d’un long suivi par d’autres intervenants.

« La première étape est de reprendre toutes les étapes du parcours identitaire de la jeune personne. On l’écoute, on entend les opinions des membres de la famille. Pendant une bonne période, on apprend à connaître la personne », explique-t-il.

Si c’est jugé approprié, le médecin peut ensuite offrir des bloqueurs d’hormones à l’adolescent. Objectif : mettre sur pause la puberté et les changements du corps qui suscitent souvent la détresse. Une personne née garçon, mais qui se sent fille, par exemple, verra avec angoisse sa voix muer, sa barbe pousser et ses muscles se développer.

« Ça permet à l’enfant de respirer, de ne pas être stressé avec les changements. On achète du temps », m’explique aussi Annie Pullen Sansfaçon, professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal et spécialiste des interventions auprès des enfants et des adolescents transgenres.

Cette intervention est réversible – si on cesse les bloqueurs, la puberté reprend. Elle permet également à l’enfant de gagner en maturité et de devenir plus apte à prendre d’éventuelles décisions plus lourdes de conséquences. Parce que les intervenants insistent énormément sur la notion de « consentement éclairé ».

Qui décide, d’ailleurs ? Au Québec, l’âge légal pour consentir à des soins est 14 ans. Le Code civil précise toutefois que le consentement des parents ou du tuteur est obligatoire lorsque les soins ne sont « pas requis par l’état de santé », qu’ils représentent un « risque sérieux » ou qu’ils peuvent causer des effets « graves et permanents ».

C’est le cas des interventions qui suivent les bloqueurs d’hormones.

La prochaine étape possible est la prise d’hormones soit féminisantes, soit masculinisantes. Dans ce cas, les changements entraînés sont irréversibles. La voix mue et ne pourra pas « démuer ». Les seins apparaissent. La graisse et les muscles se répartissent différemment dans le corps.

Une très faible minorité de mineurs trans subiront en plus une « opération au haut du corps » – une mastectomie, soit l’ablation des seins.

Les opérations au bas du corps ? Elles sont pratiquement impossibles à obtenir pour les moins de 18 ans. D’abord, l’approbation des parents est requise. Ensuite, elles ne sont pas remboursées par la Régie de l’assurance maladie du Québec.

« Je ne connais aucun médecin qui accepte d’en pratiquer », me dit aussi le médecin interviewé.

Voilà les faits.

Les interventions médicales pour les transitions de genre sont loin d’être banales. Certaines entraînent des effets irréversibles. Il est normal qu’on se pose des questions et qu’on reste vigilant pour s’assurer qu’elles ne sont pas offertes avec désinvolture.

Il existe toutefois des guides et des standards de soins régulièrement mis à jour que suivent ceux qui interviennent auprès des jeunes.

Il faut s’enlever de la tête qu’on transforme à la chaîne des petits garçons en petites filles et vice-versa dans les cabinets de médecin du pays.

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Des personnes trans qui souffrent

Les trans ne vont pas bien. Selon une enquête canadienne, pas moins de 88 % des jeunes trans et/ou non binaires déclarent souffrir d’un trouble de santé mentale⁠1.

Certains s’empresseront de conclure que c’est ce trouble qui conduit au malaise par rapport au genre et que c’est lui qu’il faut régler à la base. Ils utiliseront l’argument pour discréditer les sentiments et les démarches des trans.

La situation est beaucoup plus complexe. Oui, les troubles mentaux compliquent l’analyse et influencent la notion de consentement éclairé. Mais les problèmes de santé mentale peuvent aussi découler du fait de vivre avec un corps dans lequel on ne se sent pas bien. Ou venir de la stigmatisation que vivent souvent les trans.

« Quand on constate qu’il y a des problématiques de santé mentale, on offre plus de soutien et plus de services. L’idée est d’aider l’ado à voir clair dans l’ensemble des sphères de sa vie », dit le médecin à qui j’ai parlé, qui est très conscient que « quand on n’est pas bien, il est difficile de prendre de grandes décisions ».

Annie Pullen Sansfaçon, professeure à l’Université de Montréal, souligne quant à elle que la fragilité des jeunes trans devrait nous inciter à débattre de leur sort en faisant preuve de tact et de sens des responsabilités.

« On parle de jeunes extrêmement vulnérabilisés qui sont à risque d’abus et de harcèlement. Actuellement, l’attention est encore plus sur eux », dit-elle.

Si l’objectif des politiciens est vraiment de « protéger les enfants », il me semble urgent de garder cela en tête.

1. Consultez les résultats de l’enquête canadienne sur la santé des jeunes trans et non binaires