La semaine dernière, Bernard Drainville a opposé son veto à l’aménagement de toilettes mixtes dans une école secondaire d’Abitibi. Quand un journaliste lui a demandé sur quelle expertise il s’appuyait pour prendre une telle décision, le ministre lui a répondu du tac au tac : « Sur l’expertise intimité, monsieur ! » On comprend donc qu’il s’agit du « gros bon sens » d’un homme cisgenre, hétérosexuel et ministre.

Il a également mentionné le risque que des jeunes filles ayant leurs premières règles fassent l’objet de moqueries humiliantes de la part de garçons. Outre le fait qu’il s’agisse d’un problème purement hypothétique (ce qui semble mince pour justifier une telle ingérence), ce qui est typique, dans son argument, est d’éviter de situer le problème et les solutions dans le comportement des garçons. Le problème n’en est pas un de masculinité toxique, il est architectural ! Éduquer les garçons sur la réalité des menstruations ? Voyons ! Boys will be boys ! Investir davantage dans la lutte à l’intimidation et l’intervention précoce auprès des intimidateurs ? Jamais entendu parler. Face à la violence des garçons, dès leur plus jeune âge, les réponses institutionnelles sont passives et soumises, bâtissant ainsi les bases systémiques de son acceptation, de son cautionnement et de sa perpétuation.

Une autre préoccupation populaire et politique au sujet des toilettes mixtes concerne la sécurité. Mais la sécurité de qui ? Là est la question. Plusieurs personnes parlent d’un risque que les adolescentes y soient agressées sexuellement. J’ai donc cherché des études qui documenteraient une augmentation des agressions sexuelles dans les toilettes mixtes et n’en ai trouvé aucune. Parmi les nombreuses mesures que réclament depuis longtemps les spécialistes en violence sexuelle, il n’y a nulle part le bannissement des toilettes mixtes. Encore ici, il s’agit d’un risque hypothétique.

Or je suis troublée par la rapidité d’intervention du ministre Drainville face à une menace fictive, alors qu’en mai dernier, il fermait la porte au projet de loi-cadre contre les violences sexuelles à l’école primaire et secondaire que demandaient tous les partis de l’opposition. Il disait vouloir laisser le temps au protecteur national de l’élève de faire ses preuves. Ruba Ghazal spécifiait pourtant qu’une loi-cadre n’interférerait pas avec la mission du protecteur de l’élève, mais agirait davantage sur la prévention des agressions sexuelles à l’école, un problème plus qu’avéré.

Si aucune augmentation des agressions sexuelles dans les toilettes mixtes n’est documentée, il existe toutefois une littérature scientifique qui témoigne du risque nettement plus élevé des personnes trans, comparé aux autres, d’être agressées sexuellement et de subir de l’intimidation en milieu scolaire. Une étude parue dans la revue médicale Pediatrics démontre que les adolescentes trans voient leur risque d’agression sexuelle plus que doubler lorsqu’elles sont obligées d’utiliser les toilettes des garçons à l’école. L’ensemble de cette adversité, ainsi que la stigmatisation des jeunes trans, contribuent à leur risque de gestes suicidaires huit fois plus élevé que celui des adolescents cisgenres.

Pourtant, dans la panique populaire actuelle, on parle abondamment du risque que des femmes trans (assignées hommes à la naissance) profitent d’une utilisation des toilettes des dames pour agresser sexuellement des femmes cisgenres. Cette peur est complètement démentie par les données objectives. Aux États-Unis, les états qui ont autorisé l’utilisation des toilettes en fonction du genre actualisé n’ont constaté aucune augmentation du nombre d’agressions sexuelles sur leur territoire. Dans la population, on semble ignorer l’impact négatif du traitement hormonal féminisant sur la libido et la fonction érectile. On démonise donc largement les femmes trans comme des prédateurs potentiels, alors que dans les faits, elles sont encore plus vulnérables que les femmes cisgenres en regard des agressions sexuelles.

On s’attendrait, de la part de véritables leaders politiques, à des interventions d’éducation populaire et de pacification dans un tel contexte. Or, c’est l’inverse qui se produit. En agissant impulsivement et dramatiquement au sujet des toilettes mixtes, en demandant, l’un, un comité de sages, et l’autre, une commission parlementaire sur l’identité de genre, Messieurs Drainville et St-Pierre Plamondon renforcent une panique morale largement transphobe. Statistique Canada documente une augmentation franche des crimes haineux contre les minorités de genres et sexuelles depuis 2018. Comme quoi si, pour certains, les paniques morales sont instrumentalisées pour arracher quelques votes à droite, pour d’autres, elles résultent en violence concrète.

De plus, en agissant ainsi, nos dirigeants démontrent que leur propension à apporter des solutions stériles à des problèmes imaginaires n’a d’égal que leur manque de volonté de régler les problèmes les plus criants et mortifères de la société. Une commission d’enquête sur la désagrégation (humaine et physique) du système d’éducation ? Le ministre Drainville s’y refuse. Un comité de sages sur le fait que près d’un enfant sur cinq est signalé à la DPJ au Québec ? Bruits de criquets. Une commission parlementaire sur la violence masculine (responsable de la vaste majorité des agressions sexuelles, de la violence conjugale, des féminicides, des filicides, des homicides et des tueries de masse) ? Pas de signe de vie au département du gros bon sens, tout occupés que sont nos élus à s’improviser — littéralement — boss des bécosses.