« Je veux gouverner pour que le Québec reste le Québec. » — François Legault

À entendre certains politiciens québécois ces jours-ci, on pourrait croire que la nation québécoise se trouve à un cheveu de l’annihilation.

« J’ai entendu le président [Emmanuel] Macron, en début d’année, dire qu’il voulait gouverner, et je le cite, “pour que la France reste la France”. Je peux vous dire que je me suis retrouvé dans cette déclaration. Et moi aussi, je veux gouverner pour que le Québec reste le Québec », a lancé le premier ministre François Legault jeudi dernier, lors de la visite de son homologue français Gabriel Attal.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

François Legault (à droite) accompagné du premier ministre français, Gabriel Attal

Ce faisant, M. Legault reprenait une formule extrêmement chargée en France. Les mots « pour que la France reste la France » ont d’abord été prononcés par Jean-Marie Le Pen, puis repris comme slogan de campagne par le candidat d’extrême droite Éric Zemmour en 2022. J’y reviendrai.

Paul St-Pierre Plamondon a aussi tenu des propos troublants le week-end dernier, lors du Conseil national du Parti québécois. En promettant un référendum s’il est élu, le chef du PQ a déclaré qu’il s’agissait de « notre chance ultime de se donner une pérennité linguistique et culturelle ».

Selon M. St-Pierre Plamondon, le « régime fédéral » en place à Ottawa « planifie ouvertement et explicitement notre déclin » et ne « sait qu’écraser ceux qui refusent de s’assimiler ».

Waoh ! On ignore ce qu’avait mangé M. St-Pierre Plamondon pour déjeuner, mais disons qu’il n’a pas fait dans la nuance.

En ouvrant mon Larousse à l’adjectif « alarmiste », je lis ceci : « Qui répand des bruits propres à inquiéter la population. » Il me semble qu’on est exactement là-dedans.

Face aux exagérations du chef du PQ, on pourrait croire que la déclaration de François Legault qui dit vouloir « que le Québec reste le Québec » est plutôt banale. Elle ne l’est pas.

Une petite recherche permet d’apprendre que le premier à avoir prononcé les mots « pour que la France reste la France » est Jean-Marie Le Pen. Ce cofondateur du Front national, un parti d’extrême droite, a été condamné à répétition pour provocation à la haine, à la discrimination et à la violence raciale.

Sa fille, Marine Le Pen, a repris la déclaration. Celle-ci est ensuite devenue le slogan officiel du candidat d’extrême droite Éric Zemmour à l’élection présidentielle française de 20221.

Il est vrai que le président français Emmanuel Macron, un politicien autrement fréquentable que les Le Pen et Zemmour, a prononcé les mêmes mots en janvier dernier. J’ai joint le politologue français Jean Petaux pour comprendre le contexte.

« Quand Emmanuel Macron emploie ces mots, il le fait en toute conscience. Ce n’est pas du tout un hasard. Il reprend volontairement les mots de la droite que je qualifierais de nationaliste-souverainiste [par rapport à l’Union européenne] pour se positionner sur ce terrain-là », m’explique-t-il.

En disant cela, Emmanuel Macron entend que le combat contre l’extrême droite doit être mené sur le terrain de l’extrême droite.

Jean Petaux, politologue

Soyons bons joueurs : François Legault ignorait peut-être l’ensemble du contexte avant de calquer la formule française. Son attaché de presse, Ewan Sauves, m’assure que le premier ministre faisait référence aux propos de M. Macron et non à ceux de Le Pen ou de Zemmour (même si le premier, on le voit, répondait indirectement aux deux autres).

À mon avis, ça n’excuse pas tout. Dire qu’on souhaite gouverner pour que le Québec reste le Québec, ça implique de résister à des éléments qui menacent l’identité même de la nation.

Lesquels ? Le contexte est clair. Avec Gabriel Attal, François Legault a parlé de laïcité. Ce qui empêcherait le Québec de rester le Québec aux yeux du premier ministre, c’est donc l’immigration, et en particulier ses manifestations religieuses au sein de l’État québécois.

Les propos de Paul St-Pierre Plamondon dépeignent aussi l’immigration comme une menace à notre survie culturelle.

On le répète : on peut débattre d’immigration. On peut trouver que les cibles d’accueil du fédéral sont trop élevées (à peu près tout le monde en convient). On peut défendre différents modèles de laïcité. Et on doit se préoccuper de la survie du français.

Mais le faire en exagérant et en attisant la peur est un jeu dangereux. Ce réflexe nuit aux discussions sereines. Il fait également courir le risque d’ostraciser certains Québécois et d’exacerber la polarisation.

Ma collègue Stéphanie Grammond a bien montré que les craintes par rapport au prétendu recul du français ne sont pas étayées par les meilleures et plus récentes données disponibles⁠2.

Quant aux dangers des signes religieux, il faut en prendre et en laisser. Le Québec était un État laïc bien avant que la CAQ n’adopte la fameuse loi 21 sur le port de ces signes par certains employés de l’État. Au Québec, la religion n’a rien à faire dans l’adoption des lois, dans l’administration de la justice, dans l’élaboration du programme éducatif ni dans aucune autre mission de l’État.

La CAQ a jugé que les enseignants devaient retirer leurs signes religieux en franchissant la porte des écoles. C’est une vision très stricte de la laïcité, que partage la France et qui se défend (même si elle entre en collision avec les chartes de droits et libertés, ce qui n’est quand même pas une peccadille).

Mais plusieurs Québécois estiment plutôt que ce sont les institutions et non les individus qui doivent être laïques. Laisser entendre que cette vision menace l’identité du Québec est aussi exagéré que d’affirmer que le fédéral manigance sciemment pour anéantir la culture québécoise, comme l’a fait Paul St-Pierre Plamondon.

On a l’impression que les chefs de la CAQ et du PQ se sont lancé le défi de voir qui est le meilleur au jeu « À soir, on fait peur au monde ». Vivement la fin de la partie. Parce que semer la panique n’a jamais aidé à prendre de bonnes décisions collectives.

1. Lisez le texte « Macron utilise à son tour un slogan lancé par LR et repris par Zemmour » sur le site de la RTL 2. Lisez l’éditorial « L’éclipse (du français) n’a pas eu lieu » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue