Au côté de François Hollande à l’Élysée, Pauline Marois était ravie.

C’était en décembre 2013. Le président français venait d’être questionné sur la laïcité. Est-elle utile pour apaiser les tensions dans une société multiconfessionnelle ? « Oui », répondait le président.

« Nous en avons fait l’expérience, avait-il enchaîné. Nous avons fait cette loi, qui existe depuis 2004 et qui a été pleinement acceptée, et qui aujourd’hui n’est pas rediscutée. Je n’ai pas à donner de leçons pour d’autres pays, mais je peux donner cet exemple. » Cela ressemblait à un appui au projet de loi péquiste sur la laïcité.

Cette semaine, à Québec, le premier ministre français Gabriel Attal a été beaucoup plus loin.

« Vous n’êtes pas seuls », a-t-il dit jeudi à François Legault et aux Québécois qui appuient sa loi sur la laïcité.

Il ne pouvait ignorer le contexte. La veille, la commission scolaire English-Montréal annonçait son intention de contester en Cour suprême la loi caquiste sur la laïcité, qui enverrait selon elle un « message d’intolérance et d’exclusion ».

M. Attal a dénoncé ceux qui voudraient « faire croire que [la laïcité] est une forme de discrimination ». Au contraire, elle serait selon lui « une condition de la liberté ». Et il ne l’a pas dit en réponse à une question. C’était de sa propre initiative, dans un discours solennel au Salon bleu.

À Ottawa, le modèle canadien a des prétentions universalistes, comme s’il marquait le fil d’arrivée du progrès. D’autres modèles existent toutefois pour interpréter les droits et libertés. Parmi eux : celui de la France, patrie de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et pays où fut signée la Déclaration universelle des droits de l’homme à Paris.

Contrairement à ce que soutenait le président Hollande en 2013, le modèle français de la laïcité n’a pas été « pleinement accepté ». Comme chez nous, il y fait l’objet de débats existentiels. Selon les avis, la laïcité est soit le remède aux tensions communautaires, soit une des causes de ces tensions.

M. Attal n’a pas intérêt à ce que le Québec perde devant la Cour suprême. Bien sûr, l’impact serait tout à fait minime sur la politique française. Mais cela ferait tout de même un petit argument de plus pour ceux qui y voient une idiosyncrasie à éliminer.

Pour le Québec, M. Attal offre une caution, et aussi un point de comparaison avantageux. Car le modèle français va plus loin. Les enseignants n’y sont pas les seuls à ne pas pouvoir porter de signes religieux ostentatoires. La règle vaut aussi pour les élèves.

M. Attal – qui appartient à un parti moins à droite que Les Républicains et le Rassemblement national – avait resserré la loi française en interdisant, l’été dernier, l’abaya, une tenue traditionnelle portée notamment dans le golfe Persique.

En mars, une élève a accusé à tort le proviseur de son lycée de Paris de l’avoir frappée au bras en l’exhortant à retirer son voile. Sa plainte n’a pas été retenue par la justice. L’homme a toutefois reçu des menaces de mort. M. Attal s’est insurgé contre cette « dénonciation calomnieuse » et les menaces qui en ont découlé.

À son arrivée au pouvoir, François Legault voulait recentrer les missions internationales du Québec autour du commerce. Mais avec la France, il a réussi à maintenir une relation plus profonde.

En diplomatie, les relations personnelles comptent et les petits gestes finissent par s’additionner.

Quand l’enseignant Samuel Paty avait été décapité par un islamiste, Justin Trudeau avait dénoncé ce crime « injustifiable », en prenant toutefois soin d’ajouter que « la liberté d’expression n’est pas sans limites ».

« Dans une société pluraliste, diverse et respectueuse comme la nôtre, nous nous devons d’être conscients de l’impact de nos mots, de nos gestes, sur d’autres, particulièrement ces communautés, ces populations qui vivent énormément de discrimination encore », avait ajouté le premier ministre canadien. Comme si, à la fin de sa phrase, il avait déjà oublié qu’un enseignant s’était fait couper la tête…

À Paris, on avait apprécié la dénonciation plus ferme de M. Legault.

L’ancien ministre de l’Éducation Jean-François Roberge avait cosigné une lettre avec son homologue français Jean-Michel Blanquer. Le titre : « L’école pour la liberté, contre l’obscurantisme ». L’ancien ministre responsable de la Langue française Simon Jolin-Barrette avait quant à lui été invité à prononcer un discours devant l’Académie française.

De telles collaborations n’ont sans doute pas nui lors de la visite de M. Attal. La laïcité n’est toutefois pas le meilleur exemple de leur utilité. Outre le commerce, c’est en culture que les retombées les plus concrètes sont espérées.

Là aussi, la France offre un autre modèle face au rouleau compresseur de la Silicon Valley et de la culture anglo-saxonne.

Louise Beaudoin avait tissé des liens forts avec la France dans sa défense de la « diversité culturelle ». L’ex-ministre péquiste a coécrit un récent rapport qui recommande au gouvernement caquiste de miser sur cette relation pour notamment promouvoir le français sur les plateformes numériques.

Sur ce sujet, le fédéral ne s’oppose pas au principe. Mais il ne va pas assez vite ni assez loin au goût des nationalistes. La France apparaît donc comme l’allié idéal.

Le Québec est aussi l’invité d’honneur au Festival du livre de Paris.

Quant à la question nationale, c’est la stabilité. En 2008, le président Nicolas Sarkozy avait rompu avec la position traditionnelle de non-ingérence, non-indifférence face à l’indépendance du Québec.

M. Attal a confirmé le retour au « ni-ni ». Il a réussi à ne pas froisser les fédéralistes et à ne pas décevoir les indépendantistes.

Pour la laïcité, sa déclaration n’est pas aussi bien reçue. Car le débat se vit au présent et la position d’équilibre n’existe pas.