Si la tendance se maintient, on épuisera bientôt les possibilités de la langue française pour qualifier l’intérêt de François Legault pour un référendum sur l’immigration.

En disséquant les mots à la loupe, on peut trouver de légères fluctuations. Mais dans l’ensemble, c’est surtout la stabilité qui se remarque.

En mai 2022, ce n’était « pas dans [ses] plans » de consulter la population pour rapatrier des pouvoirs au fédéral.

En octobre 2022, ce n’était « pas exclu », mais la priorité était d’obtenir un « mandat fort » afin de négocier avec Ottawa. Ce n’était rien de moins qu’une question de survie pour la nation.

M. Legault a obtenu le mandat réclamé, sans que le fédéral ne bronche. En février, il n’était pas pressé. « À cette étape-ci, ce n’est pas nécessaire », disait-il.

Mardi, il a menacé Justin Trudeau de le faire. « Ça va dépendre des résultats des discussions », a-t-il prévenu.

Même si le ton fluctue, sur le fond, son enthousiasme demeure le même : d’une modération extrême. C’est la carte qu’il garde dans sa manche, sans vouloir la jouer.

Le Parti québécois (PQ) avait le premier eu l’idée des référendums sectoriels. L’objectif était double : obtenir des gains à court terme et raviver la flamme indépendantiste. L’appétit viendra en mangeant, croyait-on.

M. Legault espère le contraire. Il courtise l’électorat nationaliste qui est revenu au PQ. Mais il veut le rassasier, et non le mettre en appétit.

Un référendum aurait l’allure d’une manœuvre de dernier recours. Le premier ministre caquiste s’est déjà dit plus intéressé par des « états généraux » ou une consultation comme la commission Bélanger-Campeau en 1990-1991.

Un tel référendum serait compliqué.

D’abord, il faudrait choisir la question. Voudrait-on récupérer certains pouvoirs ? Tous les pouvoirs ?

Le Québec n’étant qu’une province, il ne contrôle pas la frontière. Cela limite les possibilités. La gestion des réfugiés serait exclue. Pour obtenir les pleins pouvoirs, il faudrait un référendum sur l’indépendance.

En mai 2022, M. Legault s’inquiétait particulièrement des réunifications familiales. Or, ces candidats représentent un faible pourcentage des nouveaux arrivants. Ils ne déstabilisent pas la demande en logement – ils rejoignent des proches – et limiter leur nombre crée des drames humains. Par exemple, des pères sont empêchés de retrouver au Québec leur jeune enfant.

La priorité est devenue l’immigration temporaire, qui atteint en effet des niveaux records. Un choix s’offre : tout gérer à partir de Québec ou choisir les candidats (étudiants et travailleurs) en plafonnant le nombre et en imposant la maîtrise du français pour laisser ensuite le fédéral gérer les programmes.

Le choix de la question n’est pas le seul écueil. La campagne aussi serait délicate. Par définition, un référendum clive la population. Une consultation sur l’immigration risque de s’envenimer. L’enjeu des pouvoirs pourrait être oublié. Ça pourrait se transformer en débat « pour ou contre » l’immigration.

Bien sûr, une victoire améliorerait le rapport de force du Québec pour négocier une nouvelle entente. Là-dessus, il n’y a pas de doute. Reste que l’issue demeurerait incertaine.

La Cour suprême a déjà statué qu’un référendum gagnant entraînait l’obligation de négocier. Or, l’Accord Canada-Québec sur l’immigration est jugé comme une des meilleures – ou une des moins mauvaises – ententes. Si le fédéral cède des pouvoirs, il pourrait en contrepartie avoir d’autres demandes.

Et enfin, M. Legault doit se demander ce qu’il fera en cas d’échec. Quelle place restera-t-il pour son projet autonomiste ?

M. Legault est déjà débordé avec la gestion de l’État. Il essaie à la fois d’améliorer les services publics et de réduire le déficit tout en gardant un œil sur ce qu’il préfère, le développement économique.

S’il maintient cette menace, c’est parce qu’elle plaît à l’électorat nationaliste et parce qu’elle inquiète, au moins un peu, Justin Trudeau.

Le premier ministre libéral est lui aussi en position précaire. Il a fini par reconnaître que l’immigration temporaire avait atteint un niveau « bien supérieur à ce que le Canada a été en mesure d’absorber ».

Par exemple, les classes d’accueil dans les écoles débordent et la crise du logement est aggravée par ce bond démographique.

La solution préférée de M. Legault reste une entente négociée, le plus rapidement possible. Et non un référendum, qui viendrait en fin de mandat. Et peut-être aussi après la fin du règne Trudeau.

Pour la première fois mardi, M. Legault a donné un ultimatum : sans entente le 30 juin, il pourrait déclencher un référendum. Ce sera son dernier bluff. Après, plus personne n’y croira.

S’il double ainsi la mise, c’est peut-être parce qu’il sent que la position de M. Trudeau a changé et qu’une entente est à portée de main.