Il l’avait fait vendredi dernier et il a récidivé lundi matin. Pierre Poilievre, chef conservateur à Ottawa, a traité les maires de notre métropole et de notre capitale nationale d’incompétents. Il leur attribue une bonne part de responsabilité dans la crise du logement.

Entre vendredi et lundi, histoire de ne pas se limiter à insulter des maires québécois, il a tenu à manquer de respect aux maires de Vancouver et de Toronto en les traitant de la même façon. Voulant probablement commencer la semaine en lion, lundi, il a ajouté M. Trudeau à sa liste en le traitant, lui aussi, d’incompétent : « Est-ce qu’on trouve quelque chose qu’il [M. Trudeau] n’a pas ruiné ? », a-t-il demandé, tout en finesse.

J’imagine que M. Poilievre ignore que, selon l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques, la crise du logement frappe deux villes sur trois au Québec. Ça fait beaucoup de monde à insulter.

Vous me direz qu’il n’est pas rare que des politiciens s’insultent entre eux. Vous auriez raison. Il est toutefois assez peu fréquent, à tout le moins chez nous, que des politiciens en fassent un marqueur de leur identité politique, objectif que M. Poilievre semble poursuivre.

C’est la recette des populistes, de droite comme de gauche : parler crûment, affronter les élites (même si on en fait soi-même partie), proposer des solutions simples à des enjeux complexes. Électoralement parlant, la méthode fait recette, mais elle se transforme assez rarement en réformes positives et durables.

Dans le cas présent, la solution magique de M. Poilievre à la pénurie de logements consiste à pénaliser les villes où il n’y a pas assez de mises en chantier. Simple.

Exit le fait que les villes ne construisent pas elles-mêmes des logements. Exit la question des taux d’intérêt qui limitent l’accès au capital pour les promoteurs. Exit celle de l’inflation qui a fait exploser les coûts de construction. Exit la pénurie de main-d’œuvre. Exit le désengagement du fédéral pendant des décennies (sous les conservateurs autant que sous les libéraux !). Exit la négation de l’existence même de la crise du logement par le gouvernement du Québec, ça aussi pendant des années. Exit l’incapacité pour le marché de suivre le rythme de la croissance démographique causée par des politiques d’immigration irresponsables… politiques dont M. Poilievre ne contestait pas la pertinence, jusqu’à ce que les sondages le fassent changer d’idée. Grossier, cela aussi.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le maire de Québec, Bruno Marchand

En matière de logement, comme le maire Bruno Marchand de Québec l’a dit avec beaucoup d’à-propos, « le gros bon sens, c’est de respecter les gens ». En effet, dans ce domaine, la capacité de dialogue est essentielle, notamment pour naviguer dans le fouillis des champs de compétence des divers gouvernements.

Grâce à son pouvoir de dépenser, le gouvernement fédéral a ses propres programmes pour favoriser la construction de logements, programmes qui font l’objet de négociations interminables avec Québec, mais en l’absence de ceux qui les mettent en place : les municipalités et les organismes de l’écosystème d’aide au logement⁠1. Les gouvernements provinciaux ont aussi leurs propres programmes et les villes, leurs propres réglementations. De plus, les municipalités et les communautés locales ont des réalités distinctes qui s’adaptent mal au « mur-à-mur » si cher aux autres gouvernements.

Devant un tel niveau de complexité, ce n’est pas faire preuve de compétence que de nuire au nécessaire travail d’équipe en fustigeant ses partenaires.

Le discours de M. Poilievre s’inscrit également dans celui de toutes les droites du monde qui profitent des crises pour abolir des règlements qui protègent les citoyens et la nature⁠2. Céder à leurs pressions, c’est handicaper l’avenir. En effet, les règlements municipaux ne sont pas là pour rien. Le zonage permet notamment de protéger les espaces verts et d’avoir des quartiers où il fait bon vivre. Les règlements d’urbanisme protègent la beauté des lieux, réduisent les nuisances, assurent la sécurité des citoyens. Comme je l’ai déjà écrit, on ne construit pas pour 5 ans, mais pour 100 ans⁠3. Mais cela n’a pas d’importance pour M. Poilievre, il ne fait pas dans le concret, mais dans l’idéologie.

Le chef conservateur a récemment publié une vidéo portant sur le logement. Elle était malhonnêtement appelée « documentaire », elle ressemblait plutôt à un pamphlet. Elle a été vue 14 000 fois en français et 465 000 fois en anglais, ce qui illustre bien le fossé politique entre le Québec et le Canada… mais ce n’est pas là mon propos. Ce qu’on retient de la vidéo est que pour M. Poilievre, l’État est le problème et le privé est la solution. Il se trompe complètement. Sans l’État, il ne sera pas possible de vaincre la crise. Tout comme sans respect, il ne sera pas possible pour M. Poilievre de travailler en équipe.

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