En 2007, Naomie Klein publiait La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre. C’est un livre assez fascinant où elle tente de démontrer que les chantres de la libre entreprise à tout crin profitent des crises pour promouvoir des réformes, des actions qui, dans un autre contexte, ne passeraient pas la rampe : déréglementation, privatisation, baisse de taxes et d’impôts, subventions massives, etc.

Chez nous, le phénomène a commencé à se produire dans le domaine du logement.

Le quotidien Le Droit de Gatineau rapportait1 que, même si le conseil municipal a autorisé la construction de quelque 4000 nouvelles portes dans la dernière année, l’industrie n’accepte pas que le conseil municipal en ait bloqué 34… pour respecter sa propre planification ! « Il y a une crise du logement historique, on ne va pas s’en sortir en continuant avec les règles actuelles », affirme l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec. D’autres promoteurs, partout au Québec, dénoncent le « pas dans ma cour » ou encore exigent de l’aide financière pour construire. Parce que la crise leur donne un argument fort, le danger est grand de perdre pour longtemps des outils importants de protection du public.

« Mais c’est dans ma cour ! »

Les promoteurs dénoncent toujours le « pas dans ma cour » (je ne suis pas certain qu’ils feraient la même chose si on parlait de la leur !). Ils dénoncent en particulier la capacité, pour les citoyens, de bloquer par référendum un projet dont la réalisation exige un changement de zonage.

Un changement de zonage peut permettre, par exemple, d’augmenter le nombre d’étages dans un projet ou encore d’ajouter une activité économique qui n’était pas prévue au règlement, activité qui peut très bien inclure des nuisances pour les communautés comme une augmentation d’achalandage importante sur la rue ou encore du bruit.

Cette possibilité d’exiger un référendum constitue un des rares outils vraiment puissants dans les mains des communautés. L’existence seule de ce règlement force les promoteurs à parler aux gens et à déposer des projets plus intéressants. Il ne faut pas que cette possibilité soit emportée par la stratégie du choc.

On construit pour longtemps

Si on doit changer la planification urbaine, ce qui peut être souhaitable, cela ne peut pas être improvisé, et ce, pour deux raisons : d’abord parce que les choix qu’elle encadre sont trop importants pour l’avenir, mais également parce qu’elle est le fruit de vastes consultations.

La planification urbaine constitue, en quelque sorte, un contrat social entre résidants, gens d’affaires et société civile. On ne peut pas la changer à la va-comme-je-te-pousse au nom d’une crise importante soit, mais quand même limitée dans le temps. On ne construit pas une maison ou un quartier en pensant aux trois ou quatre prochaines années, on les construit pour 75 ou 100 ans. Les gens d’un quartier vivront longtemps avec un édifice qui a été construit trop haut ou pas à la bonne place.

Le libre marché ?

L’industrie affirme également qu’un marché plus libre réglera la crise. C’est équivalent d’affirmer que si tout le monde était armé, il y aurait moins de morts par arme à feu. La solution proposée est, en fait, la source du problème.

Le libre marché n’a jamais, au grand jamais, répondu à la demande de logements abordables.

Alors que les aînés peinent souvent à se loger, 11 arrondissements de Montréal s’apprêtent à adopter des règlements de zonage pour éviter que des résidences pour personnes âgées soient converties à des usages plus lucratifs.

Le défi est encore plus grand pour les gens qui cherchent du logement abordable. Dans le cadre de débats au conseil municipal de Saint-Hyacinthe, un promoteur déclarait franchement : « Habituellement, on se donne comme objectif de demeurer à un prix bas, mais en ce moment, ce n’est pas possible. »2

D’ailleurs, de nombreuses villes connaissent une spectaculaire croissance immobilière, mais cela n’influence pas la crise, les logements construits étant trop chers.

Le logement social et communautaire est le seul pour lequel l’abordabilité est garantie à long terme. C’est aussi celui qui répond le mieux aux besoins des ménages locataires les plus fragiles. L’enjeu, c’est le financement public. Des milliers de logements pourraient être construits partout au Québec si on augmentait le financement des programmes idoines3.

Pour compenser la timidité de Québec et d’Ottawa, des villes subventionnent maintenant le logement. En Gaspésie, certaines villes donnent jusqu’à 15 000 $ par porte en subvention à des promoteurs immobiliers. Ce sont des subventions sans obligation pour les logements visés d’être abordables. Cela peut accélérer certains projets qui auraient vu le jour de toute façon, mais cela ne réglera pas la crise pour les plus pauvres.

Affaiblir le cadre réglementaire, enlever de la force aux citoyens, improviser des changements à la planification, subventionner du logement traditionnel sont des actions qui ne régleront pas la crise. Des entrepreneurs feront des profits à court terme, et nous serons pris longtemps avec des quartiers mal construits et des outils de protection du public affaiblis. La stratégie du choc aura fonctionné. Prenons garde.

1. Lisez l’article du Droit « Blocage au conseil : le milieu des affaires de Gatineau ne décolère pas et exige des changements » 2. Lisez l’article du Courrier de Saint-Hyacinthe « Pénurie de logements : une longue crise en vue » 3. Lisez l’article de La Presse « Logement social  : de gros promoteurs se font dire “non merci” »