L’attaque étant parfois la meilleure défense. Dans la crise du logement, Justin Trudeau et François Legault aiment mieux attaquer les villes que de se regarder dans le miroir. Voici quelques rappels.

Pendant que les deux premiers ministres critiquent les villes, leurs gouvernements ne s’entendent toujours pas sur l’utilisation d’un nouveau fonds fédéral, le Fonds pour accélérer la construction de logements, de 900 millions de dollars. Oui, oui, 900 millions de dollars pour le Québec seulement. Des municipalités ont déjà déposé des demandes et depuis, elles attendent que les deux gouvernements s’entendent.

C’est grave, mais c’est du déjà-vu.

Il aura fallu trois ans (2017-2020) au gouvernement fédéral et au gouvernement du Québec pour négocier l’entente précédente en matière de logement (1,7 milliard). Trois ans. Le Québec a été la dernière province à signer l’entente. Toutes les municipalités voyaient les besoins augmenter, les listes d’attente s’allonger. L’Union des municipalités du Québec (UMQ), Montréal, Québec et Gatineau avaient multiplié les sorties publiques pour exiger une signature de toute urgence1. Nous avions même utilisé le mot « scandale » pour dénoncer la situation⁠2. L’entente finale, négociée sans la présence des villes, mettait en priorité les rénovations plutôt que ce que bien des villes proposaient : la construction de nouvelles unités.

Pendant que Québec et Ottawa se disputaient au sujet de leur légitimité réciproque, les villes proposaient – solution simple – de prendre le 1,7 milliard pour renflouer immédiatement le programme québécois AccèsLogis, qui permettait depuis des années la construction de logements sociaux. Solution refusée. Trop simple.

Dans ce programme, les coûts de construction augmentaient plus vite que les coûts reconnus par Québec, et la maladie du « mur-à-mur » empêchait les municipalités de l’adapter aux réalités locales. Les ajustements se faisaient à la pièce, et, au début de 2023, les groupes communautaires quémandaient pour une énième fois de nouveaux ajustements⁠3. Des milliers de logements abordables auraient été construits si ce programme avait été financé adéquatement, selon la réalité du terrain.

Que faisait la ministre responsable québécoise de l’Habitation durant tout ce temps ? Elle niait la crise. Responsable du dossier pendant tout le premier mandat caquiste, Andrée Laforest répétait à qui voulait l’entendre qu’il n’y avait « pas du tout » de crise du logement. Ce n’est qu’en avril 2022, il y a à peine 18 mois, que le gouvernement du Québec est sorti de son aveuglement. Le dernier budget québécois était malgré tout famélique en matière d’itinérance et de logement.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Andrée Laforest, ministre québécoise des Affaires municipales et ancienne ministre de l’Habitation

En plus de privatiser une partie de l’aide, alors que le privé n’a jamais répondu à la demande de logement abordable, le budget ne prévoyait que le financement de 1500 nouvelles unités de logement abordable dans le Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ). Risible. Selon le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), il en faudrait 10 000 par année sur cinq ans.

La ministre Laforest porte une part importante de responsabilité dans la crise actuelle du logement, donc également dans celle de l’itinérance. Ajoutons qu’elle est à la tête du ministère des Affaires municipales depuis 2018 et que la grogne dans le monde municipal atteint des sommets qu’on n’avait plus vus depuis longtemps.

C’est à se demander pourquoi elle est encore ministre. Il est évident qu’on ne peut pas compter sur elle pour que les choses changent.

Revenons au fédéral. Jusque dans les années 1990, ce gouvernement était un acteur majeur du logement. Le FRAPRU évalue à 80 000 le nombre de logements dont le Québec a été privé à la suite de son retrait du secteur. Il faut se réjouir qu’il se réintéresse à la question.

La phase 1 de son Initiative pour la construction rapide de logements (2020) était un bon programme, mais les sommes engagées n’ont jamais été à la hauteur de la crise et les modalités administratives du programme ont forcé les villes, en particulier au Québec, à prendre les projets en main, car Ottawa exigeait trop des promoteurs communautaires. Finalement, quand Justin Trudeau propose d’éliminer la TPS sur certains produits pour encourager la construction de logements, il oublie de dire que c’est une vieille promesse, abandonnée depuis 2015.

Les villes, branchées sur la réalité quotidienne, sont comme un canari dans une mine : elles sentent le danger avant tout le monde.

En matière de logement et d’itinérance, elles tirent la sonnette d’alarme depuis des années. En 2020, Gatineau avait même symboliquement déclaré l’état d’urgence en logement4 ! Les villes elles-mêmes ont convoqué le Sommet de la semaine dernière sur l’itinérance, ce que Québec aurait dû faire depuis longtemps.

Au lieu de blâmer les villes, Ottawa et Québec devraient se regarder dans le miroir et faire trois choses. Signer au plus vite une entente qui libérerait les 900 millions qui dorment dans des coffres à Ottawa. Faire le ménage dans leurs inextricables chevauchements de compétences. Et finalement se dire, en pensant aux municipalités, créatures des provinces et de la Constitution canadienne : « On a mis quelqu’un au monde, on devrait peut-être l’écouter. »

1. Lisez l’article « Les trois grandes villes du Québec réclament plus de logements sociaux » 2. Lisez l’article « “C’est rendu scandaleux et honteux”, dit le maire de Gatineau » 3. Lisez l’article « Seulement le tiers des logements sociaux promis ont été construits » 4. Lisez l’article « La Ville de Gatineau déclare l’état d’urgence en logement » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue