Avec le projet de loi 31 sur l’habitation, le gouvernement du Québec veut donner aux villes un pouvoir d’exception pour leur permettre de suspendre leur propre règlement d’urbanisme et ainsi adopter des projets plus rapidement. Le gouvernement se trompe de cible et joue avec le feu.

Quand une crise se présente, l’industrie en profite toujours pour demander des réformes qui, dans un autre contexte, n’auraient jamais été acceptées, des réformes qui, dans les faits, sont souvent également à côté du problème (ce n’est pas pour me vanter, mais je vous l’avais dit il y a un an !1).

Des exemples ?

Pour demander un allègement de la réglementation municipale, on a fait grand cas de l’augmentation de 34 % en moyenne, entre 2018 et 2023, des délais d’obtention d’un permis de construction à Montréal. Horrible, n’est-ce pas ? Attention, ce 34 % signifie qu’il faut, en moyenne, 60 jours au lieu de 45 pour obtenir un permis à Montréal. Vous croyez vraiment que ces 15 jours supplémentaires ont un effet sur la crise du logement ? On dramatise les faiblesses de nos institutions et on donne des munitions à ceux qui les contestent.

Toujours pour demander un allègement de la réglementation municipale, on dénonce le « pas dans ma cour ». Chaque cas fait du bon spectacle et on en parle beaucoup. Toutefois, il y a deux ans, il s’est construit 68 000 logements au Québec. Combien de cas de pas dans ma cour ? Cinquante ? Cent ? Personne ne le sait. On navigue aux impressions (ce qui est un problème – avis aux chercheurs).

Et combien de projets déposés et acceptés respectaient la réglementation ? Des milliers. Ça, on le sait. Et combien de projets ont été considérablement améliorés parce que les promoteurs craignaient un référendum ? Des milliers. On le sait aussi. Mais aucun d’entre eux n’obtient un article dans le journal.

Un règlement de zonage est la transcription juridique d’une vision pour un quartier (types de commerces, types de logements, hauteur, etc.). Multiplier les exceptions affaiblit ce plan d’ensemble. Les contre-pouvoirs citoyens – comme les référendums – et la réglementation existent parce que les projets de pacotille, sans vision, mal placés, laids, trop hauts ou trop bas, sont légion. Les mobilisations citoyennes nous permettent d’éviter des erreurs avec lesquelles nous aurions à vivre longtemps. On ne construit pas pour 5 ans, mais pour 100 ans. Encore une fois, on dramatise les faiblesses des institutions et on oublie leurs avantages.

Au lieu d’improviser une règle générale périlleuse, le gouvernement aurait pu proposer un mécanisme pour que les villes puissent modifier rapidement leur règlement de zonage pour augmenter la densité dans certaines zones stratégiques, comme autour des stations de transport collectif, et ce, après un processus de consultation. Les promoteurs auraient ainsi pu construire de plein droit, donc éviter la multiplication des assemblées publiques, le risque de favoritisme aurait été moins grand et la vision d’ensemble respectée. Tout cela aurait été faisable en quelques mois.

Finalement, si la capacité de suspendre les règlements s’appliquait au logement social et au logement étudiant, donc au logement à but non lucratif, elle serait utile et plus sûre. L’ouverture à tous les projets a de quoi susciter l’inquiétude.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau

Les vraies causes de la crise

Parmi les causes fondamentales de la crise du logement, il y a, d’abord et avant tout, le désengagement de l’État. Le secteur privé ne s’intéresse au logement social ou abordable que s’il est obligé d’en faire et dans la mesure où on le subventionne. Pendant presque deux décennies, le fédéral s’est désintéressé de la question du logement, il vient d’y revenir. Le Québec, lui aussi, a commencé par se désengager, puis il a carrément nié la crise du logement, pour se réveiller récemment, sous la pression des villes⁠2.

D’autres facteurs jouent aussi un rôle évident. La croissance de la population au Canada n’a jamais été aussi rapide depuis 1957, elle est aujourd’hui l’une des plus élevées au monde⁠3. La Banque Nationale a récemment demandé au gouvernement fédéral « de revoir ses objectifs en matière d’immigration afin de permettre à l’offre [en logement] de rattraper la demande » 4. C’est pratiquer l’aveuglement volontaire que de croire que la démographie n’a pas d’impact sur la crise du logement. Les facteurs économiques à court terme ont également un impact majeur. Pour l’Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec, « l’augmentation des taux d’intérêt et le resserrement des conditions de financement ont arrêté la machine »⁠5.

Les vrais cas de « pas dans ma cour » existent. La lourdeur administrative existe. Mais ce ne sont que des diversions. Le désengagement de l’État, la démographie, les coûts de construction et l’accès au capital sont les vraies explications de la crise du logement.

On dramatise les faiblesses de nos institutions, on oublie la contribution positive des contre-pouvoirs citoyens, on fait des compromis avec lesquels nous devrons vivre longtemps et on oublie les vraies causes de la crise. C’est à ces dernières que le gouvernement devrait s’attaquer.

1. Lisez la chronique « Alerte rouge : stratégie du choc en vue » 2. Lisez la chronique « Ils ont la mémoire courte » 3. Lisez l’article « Du jamais vu depuis le baby-boom » de Nicolas Bérubé 4. Lisez l’analyse « Crise du logement : une croissance trop rapide de la population ? » de Radio-Canada 5. Lisez l’article « Crise de l’habitation : comment relancer les mises en chantier ? » de Radio-Canada Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue