La personne en situation d’itinérance n’a pas besoin d’une « seconde chance ». Ce qui l’aidera vraiment, c’est d’être soutenue sur le long terme, avec un solide plan d’intervention.

Les personnes qui travaillent dans le secteur de l’itinérance sont empreintes d’humanité – c’est une qualité essentielle pour qui doit côtoyer au quotidien autant de drames déchirants. Mais elles sont aussi la version humaine d’un couteau suisse : elles ont tellement de compétences et d’expertises !

À l’automne, lors d’une sortie de soir avec un travailleur de rue, celui-ci m’a expliqué l’importance d’établir des liens avec les personnes en situation de vulnérabilité. Le mot lien est un mot-clé en itinérance. Il renvoie à la relation de confiance qui se développe entre deux personnes, dans la compréhension de ce que l’un peut apporter à l’autre.

L’itinérance est plus visible dans le Grand Montréal, depuis quelques années. Une promenade au centre-ville le confirme, bien sûr, mais c’est aussi vrai dans les quartiers périphériques de Montréal, ainsi qu’à Laval et sur la Rive-Sud. Plusieurs facteurs expliquent le phénomène : crise du logement, absence de places en refuge, refuges non adaptés aux besoins des personnes, enjeux de santé mentale et de consommation, etc. Le visage de l’itinérance change également : plus de femmes, d’aînés, de demandeurs d’asile, de jeunes des communautés LGBTQ+, entre autres.

Bref, tout le monde le voit et tout le monde en parle. En plus, c’est l’hiver. Nous avons ainsi vu passer plusieurs annonces de halte-chaleur (bonne chose), dont certaines prévoient même la présence d’intervenants sociaux (excellente chose).

Il ne faut pas oublier, par contre, que les haltes-chaleur sont temporaires. Elles ne sont qu’un pansement – aussi nécessaire soit-il – sur une plaie béante, une solution d’urgence à une crise permanente.

La présence d’intervenants sociaux dans ces haltes-chaleur permet de développer une relation avec les personnes en situation d’itinérance, de mieux comprendre leur parcours et de peaufiner l’intervention en fonction de leurs besoins réels et individuels. Bref, de créer un lien et de recommencer le lendemain et le surlendemain.

Et c’est ici que l’image du couteau suisse prend son sens. On demande aux intervenants d’avoir une formation en santé mentale et en situation de violence, d’être capables de détecter des tendances suicidaires et de comprendre les réalités d’une personne avec des problèmes de dépendance : toxicomanie, alcoolisme, etc. Et c’est sans compter tous les formulaires et documents qu’ils doivent remplir et sous lesquels il est facile de crouler. Mais ces couteaux suisses sont aussi essentiels que rares, et il n’est pas facile de les recruter.

Il y a plusieurs écoles de pensée sur la façon de s’attaquer à l’itinérance. L’idée ici n’est pas d’avaliser l’une et de condamner l’autre. Par contre, j’entends partout que, pour une grande majorité de personnes, la possibilité d’avoir un toit est une étape nécessaire pour sortir de la rue.

Les liens forts

Je me souviens d’une conversation avec un entrepreneur de Québec inc. qui me racontait qu’il était très satisfait lorsqu’il avait une « moyenne au bâton » de 7 excellentes décisions sur 10. La semaine dernière, j’ai rencontré les dirigeantes d’un organisme qui œuvre en itinérance sur la Rive-Sud ; là, le taux de succès est de 80 %, c’est-à-dire que 8 personnes suivies sur 10 arrivent à se sortir de la rue au terme d’interventions qui peuvent durer plus de 36 mois.

Vous avez bien lu : 36 mois. Les six premiers mois en centre supervisé avec plan d’intervention spécialisé et personnalisé : recherche d’emploi, aide à la mise en place d’un budget, vie en groupe. Ensuite, une fois que la personne se sent prête et qu’elle atteint les objectifs du plan, on lui offre un séjour en appartement supervisé afin de continuer la réaffiliation sociale. La réaffiliation sociale, c’est la démarche effectuée par une personne qui cherche à se réintégrer au sein d’un groupe social après une période de marginalisation ou d’exclusion⁠1.

Le succès de ces interventions est en grande partie basé sur la qualité des liens entre l’intervenant et la personne en situation d’itinérance. En abordant l’itinérance sans chercher à la cacher et en misant plutôt sur le vivre-ensemble. Et en considérant ces individus comme des citoyens à part entière et en trouvant, avec eux, des solutions qui répondront à leurs besoins.

Pour l’organisme que j’ai rencontré, il s’agit d’aller au-delà des « stationnements » de personnes en situation d’itinérance. Ce n’est plus assez, et ce n’est pas la bonne approche pour répondre à l’ensemble des besoins.

Il faut quitter cette notion bienveillante de seconde chance et offrir des endroits permanents où des liens forts sont créés, où l’accompagnement de ces êtres humains fragilisés prend en compte leur point de départ et surtout leur objectif d’arrivée.

Et avec 80 % de taux de réussite, je me dis que nous ne sommes pas loin d’une solution humaine exceptionnelle.

Je vous invite enfin, si vous êtes à l’aise, à prendre quelques minutes pour discuter avec une personne en situation d’itinérance lorsque vous en croiserez une. Cette personne est un frère, une sœur, un enfant, un père. Vous lui apporterez un peu d’humanité, et elle vous en donnera en retour. Osez, vous serez surpris.

S’il m’est apparu une évidence dans cette rencontre avec l’organisme, c’est celle-ci : les personnes en situation d’itinérance sont des personnes résilientes qui ne veulent pas de l’ancien modèle de charité, mais bien de structures qui leur permettent de se rattacher à la société, de vivre dans la dignité et, surtout, d’avoir un peu de chance… en continu.

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