Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal ou de la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal.

Le gouvernement canadien a annoncé, fin février, le rétablissement d’un visa pour les voyageurs mexicains qui se rendent au Canada. Cette décision a été justifiée officiellement par l’augmentation du nombre de Mexicains voyageant au Canada pour demander l’asile. Elle vient renforcer la modification importante apportée l’année dernière à l’Entente sur les tiers pays sûrs avec les États-Unis qui a condamné le chemin Roxham et fermé pratiquement toute la frontière à la plupart des personnes qui tentaient de demander l’asile au Canada.

Nous considérons que ces changements à la frontière accentuent un virage profondément troublant dans la politique frontalière du Canada. Ces décisions répondent non seulement à la pression des États-Unis, elles remettent aussi en question l’engagement humanitaire de longue date du Canada.

Vers une politique de « prévention par la dissuasion »

Les raisons du changement de politique frontalière du Canada sont multiples. D’abord, le gouvernement canadien répond à une pression constante des États-Unis pour « sceller » la frontière. Le gouvernement américain a exprimé à maintes reprises ses inquiétudes concernant les personnes qui entrent aux États-Unis à partir du Canada de manière non autorisée.

Ainsi, ces changements de politique représentent une extension de facto de la politique frontalière américaine connue sous le nom de « prévention par la dissuasion ». En vigueur à la frontière sud des États-Unis depuis les années 1990, amplifiée au lendemain du 11-Septembre et avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, cette politique vise à « dissuader » les migrants en situation irrégulière de traverser la frontière vers les États-Unis.

Au fil du temps, les moyens de dissuasion sont devenus systématiques, répressifs et totalement déshumanisants. Les États-Unis ont externalisé leurs politiques de dissuasion – y compris la détention et l’expulsion – vers des pays comme le Mexique, le Panamá et la Colombie pour empêcher les migrants de voyager vers le nord. Mais compte tenu du nombre important de personnes sur les routes de l’exil, il n’est pas clair que ces efforts pour « dissuader » les migrants soient vraiment efficaces.

Ces politiques renforcent toutefois le pouvoir des réseaux criminels transnationaux qui promettent aux migrants de traverser des territoires de plus en plus vastes. Conséquence ? Les frontières et les lieux de transit sont les théâtres d’une grande violence, ce qui a pour effet d’augmenter la précarité et l’invisibilité des migrants.

La politique frontalière du Canada, qui vise à empêcher les migrants d’entrer au Canada ou aux États-Unis, prolonge ainsi la politique américaine. La frontière canadienne n’est plus un lieu où les personnes fuyant les violences peuvent trouver refuge, mais un endroit où se déploie une politique internationale de dissuasion répressive.

Capacité d’accueil ?

Les récents changements de la politique frontalière canadienne répondent aussi aux demandes du gouvernement du Québec. Québec affirme que la « capacité d’accueil » actuelle a été poussée à sa limite, une idée répétée si souvent qu’elle est considérée comme une vérité.

Or, il s’agit d’un discours qui stigmatise les personnes qui demandent l’asile (ainsi que les travailleurs temporaires et étudiants internationaux), leur imputant les crises du logement, de la santé, de l’éducation, voire la perte d’identité.

La fermeture des frontières renforce cette stigmatisation en mettant à mal la légitimité de l’acte de demander l’asile, un droit pourtant inscrit dans le droit international. Désigner un bouc émissaire offre une couverture aux décisions politiques qui affaiblissent les services du secteur public tout en protégeant le pouvoir du capital spéculatif. Les luttes actuelles entre les différents ordres de gouvernement sur la répartition des responsabilités, des coûts et du pouvoir décisionnel signalent, par ailleurs, une forme généralisée de déresponsabilisation politique.

Ce discours sur la « capacité d’accueil » mine le travail dévoué des acteurs communautaires locaux qui offrent un soutien essentiel aux migrants en situation de grande précarité en leur donnant des manteaux et bottes d’hiver, en cherchant des logements et en défendant le droit d’accès aux garderies, par exemple. Ces personnes, aux histoires migratoires et statuts de citoyenneté différents, se battent aussi pour défendre le droit d’asile et pour maintenir la frontière humanitaire ouverte. La marche de trois jours vers le chemin Roxham en juillet dernier, coordonnée par des organisations de défense des droits des migrants au Québec, en était une démonstration claire. Il est regrettable que ces pratiques, nécessaires à la construction d’une citoyenneté solidaire, soient dévalorisées.

Contrairement aux discours identitaires actuels, il existe au Québec une longue tradition de solidarité envers les peuples qui fuient la violence et les persécutions. Examiner de plus près les pratiques de ces acteurs communautaires nous enseignerait peut-être d’autres définitions moins limitatives des termes « capacité » et « accueil » et nous conduirait vers un chemin différent.

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