Entendre ad nauseam que les aliments transformés rendent malade – et devoir jouer au détective pour identifier les plus malsains – peut provoquer une indigestion… d’informations.

Aujourd’hui, il faut déchiffrer une à une les étiquettes des pains tranchés, des barres tendres, des pizzas, des sauces, des soupes ou des saucisses. Mais s’y retrouver deviendra beaucoup plus simple dans deux ans lorsqu’un avertissement marquera le devant de l’emballage des aliments à éviter. L’image d’une loupe accompagnée des mots « élevé en […] » devra être bien visible, pour signaler qu’ils sont trop riches en sel, en sucres ou en gras saturés⁠1.

IMAGE FOURNIE PAR SANTÉ CANADA

L’avertissement qui se retrouvera sur le devant des emballages des aliments transformés.

Cette apparition fera-t-elle chuter les ventes – comme le craint l’industrie – ainsi que les visites médicales, comme l’espère Santé Canada ? Les experts en santé publique le croient et s’attendent à ce que les fabricants améliorent leurs recettes en conséquence.

« Les consommateurs pourront faire des choix plus sains », applaudit la nutritionniste Julie Perron, professionnelle de recherche à l’Observatoire de la qualité de l’offre alimentaire de l’Université Laval.

Les spécialistes que nous avons interrogés craignent cependant que les aliments non étiquetés ou renouvelés pour éviter l’avertissement procurent un faux sentiment de sécurité. Ce qui arrivera, par exemple, si le sucre se voit remplacé par une panoplie d’édulcorants aux effets incertains. Ou si l’on se met à avaler deux fois plus de biscuits parce qu’ils sont réduits en gras.

Des données inédites de l’Observatoire – qui feront l’objet d’un rapport au printemps – démontrent qu’actuellement, 60 % des 4000 produits de 15 catégories mériteraient d’afficher l’avertissement prévu. « C’est une proportion très élevée et alarmante », affirme Julie Perron.

À eux seuls, les aliments ciblés envoient – année après année – en moyenne 4,2 kilos de sucre dans l’estomac de chaque Québécois. L’équivalent d’un seau de 6,5 litres ! Auquel s’ajoute l’apport des boissons sucrées et des gâteaux, qui n’a pas encore été mesuré.

Les aliments analysés fournissent, en prime, 1 kg de gras saturés et 173 g de sel par an.

Puisqu’il s’agit de moyennes, bien des Québécois ingèrent des doses bien plus importantes de nutriments problématiques. Ce qui les expose à des troubles chroniques, dont le diabète, l’hypertension et, possiblement, certains cancers et la dépression.

« Environ 80 % des maladies cardiovasculaires pourraient être prévenues avec un mode de vie sain, dont l’alimentation fait partie », indique Francine Forget Marin, de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC.

Beaucoup plus transparent

Quels effets concrets aura le nouvel étiquetage ? « Les gens savent qu’il ne faut pas manger trop de sel, de sucres ou de gras saturés, mais la vie va vite, on manque de temps. Alors, on ne va pas tous commencer à cuisiner son pain demain matin ! », prévient tout d’abord Julie Perron.

D’où l’importance d’amener l’industrie à reformuler ses produits, enchaîne-t-elle. Ce que certains fabricants ont déjà entrepris de faire. En 2017, 71 % des pains tranchés analysés par l’Observatoire auraient mérité d’afficher un avertissement, contre 31 % en 2021.

Au Chili, les aliments trop riches en calories ou en nutriments risqués arborent déjà un panneau d’arrêt depuis sept ans. Pour échapper à cette obligation, environ 20 % des produits ont été reformulés la première année, affirme Mme Marin.

Les achats de boissons sucrées y ont par ailleurs diminué de 25 % en 18 mois. Et 37 % des Chiliens ont déclaré que les étiquettes les encourageaient à mieux se nourrir⁠2.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Corinne Voyer, directrice du Collectif Vital

Au Canada, l’information est déséquilibrée, déplore Corinne Voyer, directrice du Collectif Vital, qui regroupe plus de 125 organisations militant pour l’adoption de saines habitudes de vie. « Les emballages de céréales multicolores sont tapissés d’allégations pour attirer le regard. Mais ils n’iront pas se vanter qu’elles sont bourrées de sucre ! L’industrie agroalimentaire camoufle les effets pervers de ses produits en vantant d’autres attributs. La nouvelle étiquette rendra ça beaucoup plus transparent. C’est important, parce que les consommateurs font leurs choix très rapidement en passant devant les étalages. »

Pas forcément santé

Malgré cette avancée, les experts que nous avons interrogés ont quelques appréhensions.

« Des fabricants pourraient enlever du sucre, mais rajouter des édulcorants », avance Mme Voyer. En juillet 2023, l’Organisation mondiale de la santé a déconseillé l’utilisation d’édulcorants de synthèse, parce qu’ils pourraient accroître les risques de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires et de décès prématurés chez les adultes. L’organisme a aussi indiqué que l’aspartame était peut-être cancérigène.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le nutritionniste Bernard Lavallée, chroniqueur à Télé-Québec, coanimateur de balados et auteur de plusieurs livres sur l’alimentation, dont N’avalez pas tout ce qu’on vous dit

Les études montrent de plus que les aliments « diète » ne satisfont pas les gens, qui en consomment davantage, faute d’y trouver ce qu’ils recherchent, ajoute le nutritionniste Bernard Lavallée, auteur de plusieurs livres sur l’alimentation, dont N’avalez pas tout ce qu’on vous dit.

La multiplication de loupes sur les emballages risque par ailleurs d’angoisser les personnes qui entretiennent une relation conflictuelle avec la nourriture, pense-t-il.

Leur omniprésence risque aussi de donner faussement l’impression que tous les aliments dépourvus d’avertissement sont sains.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Claude Moubarac, chercheur en nutrition et professeur à l’Université de Montréal

Les gens s’imagineront que ces produits ont été approuvés par Santé Canada et se diront : “Go, je peux y aller !”, alors que plusieurs demeureront très discutables. Ce sera cacophonique !

Jean-Claude Moubarac, chercheur en nutrition et professeur à l’Université de Montréal

« Mieux vaudrait donc s’intéresser à la qualité globale d’un produit plutôt qu’à trois nutriments », ajoute le professeur Jean-Claude Moubarac.

En Europe, le « Nutri-score » permet de coter les aliments de A à E et de vert à rouge – en tenant compte de toutes leurs caractéristiques, désirables ou non. Mais cette solution n’a pas été retenue au Canada.

Des lobbies se sont battus à Ottawa pour retarder l’apparition de l’avertissement – originellement programmée en 2022 –, explique le professeur Jean-Claude Moubarac. Comme Mme Voyer, les prochaines élections lui font donc craindre que le gouvernement change ou abandonne le projet.

« On doit vraiment montrer aux citoyens quoi regarder quand ils achètent un aliment et développer leur autonomie, parce qu’il faut être aguerri pour naviguer dans le système alimentaire. Il évolue constamment. »

1. Quand une portion fournit 15 % ou 30 % de la valeur quotidienne recommandée de l’un de ces éléments.

2. Consultez une méta-analyse sur l’efficacité de ce genre de mesure (en anglais)

Évolution de l’étiquetage alimentaire au Canada

  • Années 1990 : L’emballage doit indiquer quelle est la teneur d’un aliment en nutriments, lorsque ceux-ci font l’objet d’allégations (comme « pauvre en graisses »).
  • 2003 : L’étiquetage nutritionnel devient obligatoire pour la plupart des aliments préemballés, qu’ils fassent ou non des allégations.
  • 2007 : Un tableau de la valeur nutritive doit fournir des informations normalisées sur la teneur en calories et 13 nutriments essentiels.
  • 2016-2022 : Le tableau de la valeur nutritive est révisé pour refléter les plus récentes données scientifiques, et les colorants alimentaires doivent être déclarés. Santé Canada introduit aussi l’obligation d’afficher un avertissement (qualifié de « symbole nutritionnel ») sur le devant des emballages d’aliments trop riches en sodium, en sucres ou en gras saturés, mais son application est suspendue.
  • 2026 : L’obligation d’afficher le nouvel avertissement entrera en vigueur.

Source : firme de marketing Invok

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