L'avocate iranienne Nasrin Sotoudeh, 55 ans, défend les droits de la personne depuis des années, et spécialement ceux des femmes.

Amnistie internationale a attiré l'attention sur cette courageuse féministe parce qu'elle vient d'être condamnée à 38 ans de prison en un cumul de peines, en plus d'un châtiment de 148 coups de fouet.

Son crime ? Défendre notamment le droit des Iraniennes à ne pas porter le voile. Au Québec, nous avons la chance de pouvoir débattre, d'exercer nos droits et de les défendre en tout pacifisme (si on exclut le langage haineux des réseaux sociaux). En Iran, ce n'est pas le cas. 

S'opposer à toute obligation 

Comme Nasrin Sotoudeh, Masih Alinejad en sait quelque chose. Cette journaliste iranienne a dû s'exiler aux États-Unis à la suite de reportages contre le régime en place, de menaces de mort et d'un passage en prison.

Elle a expliqué à une journaliste du Guardian (3 juin 2018) que la révolution iranienne fut une révolution contre les femmes. En 2014, elle a lancé un mouvement, My Stealthy Freedom, après avoir affiché une photo d'elle cheveux au vent. Cette photo devenue virale mobilise depuis plus de deux millions de femmes, dont des Iraniennes qui refusent l'obligation du voile et qui le manifestent ouvertement dans leur pays. 

En 2017, la campagne #whitewednesday a été lancée par Alinejad pour soutenir les opposantes à l'obligation de porter le voile : elles se photographient avec un vêtement ou un foulard blanc (symbole de pacifisme) pour diffuser les images sur les réseaux sociaux. 

Malheureusement, les femmes qui ôtent leur voile dans les rues de Téhéran ou ailleurs au pays prennent des risques.

Selon Amnistie internationale, une centaine de femmes et des hommes alliés ont été arrêtés pour avoir affiché leur opposition à l'obligation du voile, ce que déplore Alinejad. Ce sont en partie ces femmes que défend l'avocate Nasrin Sotoudeh. 

L'Iran à ONU Femmes 

Au même moment où Amnistie internationale attire l'attention sur le cas de Mme Sotoudeh, la République islamique d'Iran vient d'être élue à la Commission sur le statut de la femme des Nations unies.

Comme ce fut le cas lors de l'élection de l'Arabie saoudite en 2017, des observateurs des droits de la personne et surtout des féministes s'indignent : comment l'Iran, qui persécute une avocate et les femmes qu'elle défend contre l'obligation du voile, peut-il siéger à la table d'une organisation internationale féministe ? 

Le « levier » de la politique 

Il est impossible d'obtenir le point de vue des représentantes des Nations unies, qui ne répondent à aucune demande d'entrevue sur la question (jusqu'au moment de terminer ce texte, du moins). France-Isabelle Langlois, nouvelle directrice générale d'Amnistie internationale Canada francophone, explique que l'organisation qu'elle dirige n'a pas l'habitude de prendre position sur l'élection ou la nomination d'un État aux Nations unies. « La seule fois où nous l'avons fait, c'est pour l'Arabie saoudite », précise-t-elle, jointe par téléphone.

Selon Mme Langlois, il faut comprendre qu'aux Nations unies, les élections et les nominations sont le résultat de négociations politiques auxquelles des organisations comme Amnistie internationale ne peuvent pas grand-chose. « Toutefois, ajoute-t-elle, il faut nous servir du levier de cette élection : réitérer à l'Iran que si le pays participe à cette commission, il doit se conformer aux accords internationaux sur les droits humains et sur les droits des femmes. » 

Complexe solidarité 

Masih Alinejad a publié l'an dernier The Wind in My Hair, livre qui retrace son parcours et le combat des Iraniennes contre l'obligation du voile et le sens que revêt cette injonction à la pudeur, à l'effacement.

Elle s'est récemment prononcée sur le geste de la première ministre néo-zélandaise Jacinda Arden, qui a invité ses concitoyennes à porter le voile en guise de soutien à la communauté musulmane à la suite de l'attentat du 15 mars dernier.

Dans un article publié par Reuters le 26 mars, la féministe iranienne a dit reconnaître le courage et la solidarité dans le geste de la première ministre, mais elle avoue être bouleversée par le message contradictoire que cela envoie et qui se retournera contre les femmes qui essaient de se débarrasser du voile.

La réflexion de cette féministe iranienne, déchirée entre leur combat contre l'obligation du voile et le rejet de leur identité, donne la mesure de toute la complexité du débat. 

Nuire le moins possible 

D'autres féministes au Québec mettent aussi en garde contre l'obligation du port du voile et se disent peu écoutées. Mais si la réponse ne peut être que coercitive, beaucoup de leurs concitoyennes, aussi féministes, y voient une contradiction et un malaise. 

Dans l'entrevue que donne Alinejad au Guardian, elle dit rêver du jour où elle pourra marcher dans les rues d'Iran cheveux au vent, aux côtés de sa mère qui, elle, se voile ; il y aurait, alors, une totale liberté. Que pouvons-nous faire qui ne nuise ni aux unes ni aux autres ? 

Comme me l'a conseillé une militante qui préfère rester anonyme, nous pouvons amplifier leurs voix. Faire entendre leurs arguments dans le respect et l'empathie. Nous pouvons aussi faire pression sur le gouvernement iranien pour qu'il libère Nasrin Sotoudeh en signant la pétition d'Amnistie internationale.

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