Martin Luther King (MLK) a toujours fait partie de ma vie, comme une toile de fond que sont les icônes.

Or, un soir, lors d’un souper avec une amie et son fils, MLK s’est imposé. Son fils s’est mis à raconter un épisode de la vie de sa mère.

En 1963, elle n’avait que 16 ans, elle faisait œuvre de demoiselle de compagnie auprès de sa tante lorsque celle-ci voyageait. Le soir du 27 août 1963, alors que mon amie était assise dans le hall de son hôtel, un groupe d’hommes noirs discutaient d’une marche qui avait lieu le lendemain, soit le 28 août. Cette manifestation visait à soutenir la législation sur les droits civiques qui était alors débattue au Congrès et à protester contre le racisme. Ils l’ont invitée à les suivre.

Mon amie, une grande blonde, a participé à cette mémorable manifestation interraciale regroupant plus de 200 000 personnes.

Elle était sur l’esplanade du Lincoln Memorial lorsque MLK a prononcé le discours « J’ai un rêve1 », l’un des discours les plus influents de l’histoire. Croyant en la justice distributive et en la justice raciale, le DKing rêvait d’une société dans laquelle l’égalité entre tous les hommes était une réalité.

Malheureusement, le sens de son discours a été perverti par ceux qui détiennent les mégaphones. Certains prétendent erronément que MLK était d’avis que la couleur de la peau n’a aucune importance (colorblindness), lecture qui ignore le contexte. De surcroît, elle fait abstraction de toutes les luttes menées par le King afin d’anéantir les préjugés et d’éliminer les systèmes d’oppression.

Profondément marquée par cette marche, mon amie est devenue professeure de droit et a défendu les droits de la personne pendant plus de 40 ans, non seulement au Canada, mais aussi à l’étranger.

Mon destin a croisé le sien alors que nous étions engagés à faire reconnaître les multiples formes d’abus vécus par les enfants autochtones dans les pensionnats. Sa présence me rappelle que nos luttes sont parsemées d’obstacles que nous devons surmonter, dans l’intérêt supérieur de l’humanité.

À la suite de cette marche, le Civil Rights Act de 1964, garantissant l’égalité dans le système électoral, l’interdiction de la discrimination notamment dans les restaurants, les théâtres et la déségrégation scolaire a été promulgué.

La lutte ne fait que commencer

Malgré les avancées du mouvement de MLK, en 1967, dans Le pouvoir noir, il souligne que « depuis l’époque des plantations du Sud jusqu’à celle des nouveaux ghettos du Nord, le Noir s’est vu privé du droit de parler et des moyens de se faire entendre. Dépouillé du droit de décider de sa vie et de son destin, il s’est trouvé assujetti aux décisions arbitraires et parfois fantasques d’un régime blanc. Les plantations et les ghettos furent inventés par ceux qui possédaient le pouvoir pour y enfermer ceux qui ne l’avaient pas et les empêcher de sortir de leur impuissance ».

Face aux constats de MLK, il faut s’interroger. Où en sommes-nous quant aux avancées pour l’élimination des injustices et des inégalités raciales ?

Est-ce que le rêve s’est réalisé ? Permettez-moi d’en douter.

Le mouvement Black Live Matters qui a vu le jour après la mort de Trayvon Martin et qui après l’assassinat de George Floyd a une portée mondiale démontre que la lutte ne fait que commencer. Le mouvement #sayhername qui vise à rendre visible et à reconnaître la violence vécue par les femmes noires a également vu le jour. Depuis l’élection de Donald Trump, on constate une montée de la négation de l’esclavage et ses conséquences qui se manifeste par la censure de livres, le refus de reconnaître la nature systémique du racisme et l’abolition des programmes d’affirmative action.

Dans ce contexte, une demande a été faite à l’Organisation des Nations unies afin qu’elle déclare une seconde Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine2.

Et les récentes données ne sont pas plus roses. Selon un rapport de Statistique Canada intitulé Scolarité et gains des populations noires nées au Canada fondé sur le recensement 2021 (août 2023)3, les salaires de la majorité des personnes noires étaient plus faibles et les écarts salariaux persistent au sein des populations noires nées au Canada après avoir tenu compte de la scolarité et du statut professionnel. « Les personnes noires vivant à Montréal gagnaient habituellement des revenus moins élevés que dans la majorité des autres régions métropolitaines recensées, les femmes noires d’origine africaine et d’origine caribéenne sont plus touchées… »

Le Forum des politiques publiques rendait public un rapport intitulé La montée de la polarisation au Canada (août 2023)4 auquel ont participé « plus de 1600 jeunes adultes, une dizaine de chercheurs et de rédacteurs, six organismes communautaires, deux groupes de réflexion et un journaliste d’enquête ».

Le Canada est confronté à « un désengagement, une amertume improductive et des motifs impurs. Parmi les sujets les plus polarisants, on retrouve l’ethnicité, race et racisme (10,3 %) ainsi que les droits de l’homme, équité et questions d’accessibilité (10,3 %). Les autres sujets polarisants : genre et identité sexuelle (10,3 %) politique et rôles du gouvernement COVID-19 (12,4 %), vaccination et politiques de santé publique (15,2 %). Il est pour le moins inquiétant que les questions qui touchent la justice sociale et raciale s’y retrouvent de façon si importante (30,9 %).

Tout cela reste préoccupant, 60 ans après le discours « J’ai un rêve ». Il est plus que temps de laisser l’espace onirique. Les personnes noires méritent plus qu’une « justice qui reste à venir » afin que la justice raciale, concept cher à MLK, devienne une réalité tangible.

1. Lisez le discours de Martin Luther King 2. Consultez le site des Nations unies 3. Consultez le rapport de Statistique Canada 4. Consultez le rapport du Forum des politiques publiques Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion