Il faut parfois se pincer, mais nous ne rêvons pas. Nous sommes bel et bien au XXIe siècle. Et pourtant, la situation des femmes, à travers le monde, évolue très lentement, si elle ne régresse pas carrément.

De l’autre côté de la planète, des hommes archaïques, que sont les talibans, ferment depuis quelque temps tous les salons de beauté en Afghanistan, dernier lieu de rassemblement des femmes et ultime « espace de liberté » ⁠1. Depuis que les talibans ont repris le contrôle du pays, en août 2021, les droits des Afghanes n’ont cessé de reculer, les femmes ayant été chassées de toutes les sphères publiques et médiatiques. Ces femmes n’ont plus le droit de sortir seules, d’étudier ni de travailler.

En Iran également, la situation des femmes est particulièrement épouvantable. Chaque jour qui passe, des femmes risquent leur vie, simplement en sortant de chez elles, pour une banale mèche de cheveux qui dépasse de leur voile. Pour ce délit capillaire, des femmes sont arrêtées, battues, torturées. Sur le thème « Femme, vie, liberté », un puissant mouvement de protestation a vu le jour l’automne dernier, après la mort de Mahsa Zhina Amini, cette jeune femme de 22 ans morte à cause du port « inapproprié » de son voile. Mais la répression de la République islamique et de la police des mœurs demeure brutale.

Pendant ce temps, en Occident, on tente de nous faire croire que Barbie, une poupée au corps et aux mensurations impossibles, serait dans les faits une féministe pure et dure, et non un vulgaire produit de consommation américain.

Longtemps un simple objet manipulable, la célèbre poupée prend ces jours-ci une forme humaine dans un film rose bonbon. Sous les traits de l’actrice américaine Margot Robbie, Barbie devient ainsi une vraie femme, en chair et en os.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

La tiktokeuse montréalaise Pinkydoll

Curieusement, des femmes bien réelles, elles, tentent à l’inverse de se métamorphoser en « poupées roses » (Pinkydoll) sexy et adorables comme tout, en objets manipulables, en créatures robotisées. Telles de précieuses et jolies automates, ces femmes poupées à l’apparence léchée et aux mouvements automatiques répètent les mêmes mots et les mêmes phrases, ne réagissant qu’« aux “cadeaux” numériques que les utilisateurs [leur] envoient et qui défilent à l’écran sous forme d’autocollants : une rose, une galaxie, une couronne de fleurs. À chaque icône, elle prononce une phrase, sur le même ton, avec le même geste, comme une poupée » ⁠2.

Nous voilà de retour à la « femme poupée » rose, incapable et manipulable à souhait – pas très loin de la poupée gonflable. N’est-ce pas là le rêve ultime de certains hommes, le fantasme suprême de la pensée machiste ?

Une automate étant par définition une créature agissant sous l’impulsion d’une volonté externe à elle-même, ces femmes poupées interagissent avec le monde externe via un soi-disant « pont de communication » virtuel, répondant seulement aux désirs conscients et inconscients de leurs « clients », obéissant ainsi aux ordres et demandes spéciales de leurs « abonnés ». Et tout ça pour quoi ? Pour de l’argent.

Pendant que des femmes partout à travers le monde se battent pour leurs droits les plus fondamentaux, comme sortir seules dans un parc, cheveux au vent, d’autres, elles, des femmes pourtant libres, s’« objectifient » elles-mêmes, jouent le jeu très lucratif du capitalisme patriarcal, se transformant en poupées manipulables, en personnages de mangas ou en automates sur TikTok, Instagram ou OnlyFans. On n’est clairement pas sortis du bois patriarcal.

Alors que l’intelligence artificielle nous promet dans un avenir très rapproché des robots de plus en plus humains, capables de sensibilité, des êtres humains, eux, jouent aux poupées robotisées. Chemin faisant, il ne faudrait surtout pas oublier les vraies formes d’intelligence humaine – cognitive, émotionnelle, corporelle, entre autres. C’est grâce à ces intelligences qu’on fait réellement progresser les choses.

1. Lisez « Des milliers de salons de beauté fermés par les talibans » 2. Lisez « Comprendre le (curieux) phénomène Pinkydoll » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion