L’indemnisation des sources journalistiques par les intermédiaires ou plateformes numériques (Meta, Google et autres) est devenue un objet de litige explicite au Canada depuis l’adoption de la Loi sur les nouvelles en ligne. La loi vise l’indemnisation équitable des entreprises de nouvelles et la viabilité durable du marché canadien des nouvelles et ne s’applique qu’aux intermédiaires dominants profitant d’un pouvoir de négociation déséquilibré. La loi laisse aux parties la latitude pour négocier le montant de l’indemnisation en fonction « de la nature du contenu et de la manière dont il est rendu disponible par les intermédiaires ».

Le projet de loi C-18 est mal avisé.

Pour bien comprendre les enjeux, il nous faut considérer quatre éléments : la notion de bien d’information, le modèle d’affaires des journaux et plateformes numériques, les entrées fiscales générées par les plateformes numériques, et les sources potentielles d’indemnisation des sources journalistiques. À la lumière de ces éléments, le conflit actuel est quelque peu irréaliste, voire inutilement amplifié.

La notion de bien d’information. Les biens journalistiques (nouvelles, chroniques, tribunes, photos, etc.) sont coûteux à produire, mais peuvent être disséminés à coût nul et consommés par tous sans que le bien en soit affecté. Dans ces circonstances, la diffusion maximale des biens d’information est souhaitable, donc à un prix nul. Encore faut-il que les créateurs/producteurs soient compensés pour leur travail, et ce, à la valeur concurrentielle de leur création/production.

Considérant que les sources journalistiques admissibles sont des biens d’information au sens économique du terme, le gouvernement canadien, comme agent des citoyens consommateurs de nouvelles, doit assumer un rôle prépondérant dans l’indemnisation de la valeur concurrentielle ou commerciale des sources journalistiques en question.

Les modèles d’affaires. Le modèle d’affaires des organes de presse est essentiellement d’exiger une contribution (abonnement) à leurs lecteurs et/ou de vendre leurs lecteurs à des entreprises désireuses d’entrer en contact avec eux. C’est le modèle d’affaires dominant du monde journalistique et des plateformes numériques sur lesquelles les contenus journalistiques apparaissent. Un défi majeur pour les organes de presse traditionnels est que ces plateformes numériques ont développé un modèle beaucoup plus performant de vente de leur lectorat. Une entreprise qui désire rejoindre un public de la Rive-Sud de Montréal intéressé par l’achat d’une automobile en début d’année peut le faire beaucoup plus facilement et efficacement en achetant de la publicité sur les plateformes numériques que dans les organes de presse traditionnels. Cette concurrence rend la vie particulièrement difficile aux journaux.

Les entrées fiscales générées par les entreprises, dont les plateformes numériques. On entend souvent dire que les entreprises ne paient pas leur juste part d’impôts. Dans une certaine mesure, il s’agit d’une question de perspective comptable. Considérons les impôts et taxes générés plutôt que payés.

Les plateformes numériques Alphabet-Google, Meta-Facebook, Apple et Microsoft génèrent des entrées fiscales payées par leurs employés (impôts sur le revenu et taxes sur la consommation), qui auraient atteint quelque 50 milliards de dollars américains à travers le monde en 2022, sans compter les impôts et taxes payés par leurs actionnaires et prêteurs.

Une estimation préliminaire suggère que ces plateformes numériques auraient généré au Canada en 2022 des entrées fiscales de l’ordre de 2 milliards de dollars. Si les gouvernements canadiens consacraient 10 % de ce montant à la compensation des sources journalistiques admissibles, le montant versé serait de l’ordre de 200 millions de dollars canadiens. Serait-ce suffisant pour couvrir la valeur concurrentielle des sources journalistiques en question ? Impossible de répondre à cette question avant de procéder à l’évaluation de cette valeur concurrentielle. Mais ce serait un début de sortie de crise.

Une solution. La compensation des sources journalistiques pourrait être plus généralement assurée par une combinaison d’abonnements, de vente de publicité, des contributions versées par diverses parties prenantes, entre autres les plateformes numériques et les gouvernements (au nom des citoyens-lecteurs). Ces diverses parties prenantes pourraient être tenues conjointement responsables de la compensation financière des sources journalistiques au-delà des abonnements et des publicités. Dans l’esprit de la Loi sur les nouvelles en ligne, ces dernières contributions pourraient être en fonction des bénéfices que chaque partie réalise.

Le gouvernement (ou l’ensemble des gouvernements profitant des entrées fiscales générées) pourrait même agir comme partie prenante prépondérante du processus de compensation. Il pourrait compenser les différentes sources journalistiques admissibles à leur valeur concurrentielle respective et exiger des autres parties prenantes conjointement responsables un remboursement équitable. Cette formule existe déjà dans d’autres secteurs.

Il ne s’agit pas ici de subventions, mais plutôt de contributions pour couvrir la valeur concurrentielle des sources journalistiques dont la diffusion maximale (donc à coût nul pour les lecteurs) est conforme aux principes économiques d’allocation efficace des ressources en matière de biens d’information.

Serait-ce suffisant pour compenser les contributions des sources journalistiques à leur valeur concurrentielle ? Il faudrait plus de temps et de ressources pour arriver à répondre adéquatement à cette question. Mais ce serait déjà un début.

Si les gouvernements canadiens prenaient leurs responsabilités en cette matière, il serait peut-être plus facile de convaincre les autres parties prenantes de participer et de contribuer au nom de leurs clients-lecteurs.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion