Trois ans après les manifestations monstres et les affrontements parfois violents qui ont secoué Hong Kong en 2019, les dirigeants de la ville insistent pour dire qu’ils ont rétabli l’ordre. Prédisant un avenir prospère à ses habitants, ils répètent à l’envi que « Hong Kong is back ». Et pour appuyer leur dire, le gouvernement a lancé une offensive de charme à travers le monde avec « Hello Hong Kong » : pas moins de 700 000 (!) billets d’avion sont offerts aux touristes qui visiteront Hong Kong en 2023.

Loin de ces effets de manche, dimanche dernier marquait le 34e anniversaire du massacre du 4 juin 1989 sur la place Tiananmen, à Pékin. Jusqu’en 2019, Hong Kong et Macao étaient les seuls endroits en Chine où les rassemblements en souvenir de cet évènement fatidique étaient tolérés. Même que tous les ans depuis 1990, Hong Kong a accueilli la plus grande commémoration au monde avec une veillée aux chandelles.

Or, depuis 2020, il n’y a plus de veillée. D’abord à cause de la pandémie, mais ensuite (et surtout) en raison de la répression politique à Hong Kong, que d’aucuns qualifient de terreur blanche.

L’organisateur de la veillée, l’Alliance, fondée en 1989, a été contraint de se dissoudre en septembre 2021 à la suite de pressions croissantes exercées depuis la promulgation de la Loi sur la sécurité nationale (LSN) en juin 2020. Plusieurs de ses responsables sont actuellement en prison. Et bien que le gouvernement refuse toujours de dire si faire publiquement le deuil des morts de Tiananmen est illégal, pas moins de 6000 policiers ont été déployés samedi et dimanche derniers, et une trentaine de personnes ont été arrêtées, dont plusieurs figures du mouvement démocratique.

En parallèle se déroule depuis février 2023 le « procès des 47 » : politiciens, avocats, universitaires, journalistes, travailleurs d’ONG et militants sont jugés sous le coup de la LSN au motif d’avoir organisé et participé en 2020 à des primaires en vue de l’élection du LegCo, l’assemblée locale. En avril dernier, le secrétaire à la Sécurité faisait part de sa satisfaction pour le « travail sérieux » mené dans les procès dans la foulée de la LSN, soulignant qu’ils avaient donné lieu à un taux de condamnation de 100 %… Pour nombre d’observateurs, le procès des 47 symbolise tout bonnement la mort de la société civile à Hong Kong, étendant à la Région administrative spéciale la répression sans faille qui s’abat en Chine depuis 2015 sur les avocats des droits de la personne, les universitaires libéraux, les journalistes, les militants des ONG et les membres des églises clandestines.

Après avoir placé Hong Kong pendant 25 ans en tête de son Index des libertés économiques, ce dont le gouvernement local ne manquait jamais de se vanter, la Heritage Foundation américaine a décidé en 2021 de l’exclure du classement, affirmant que la perte de certaines libertés politiques fondamentales avait rendu « la ville presque indiscernable des autres grands centres urbains chinois » et que la mainmise sécuritaire imposée par Pékin avait fait voler en éclats l’idée même du « haut degré d’autonomie » dont est censé bénéficier Hong Kong en vertu de sa constitution. Par ailleurs, Hong Kong s’est effondré dans le classement de la liberté de la presse dressé par Reporters sans frontières, passant du 18e rang en 2002… au 140e en 2023 !

L’accent sur « l’éducation patriotique »

Dans le domaine de l’éducation, selon les chiffres officiels, plus de 64 000 élèves, de la maternelle au secondaire, ont été désinscrits des écoles locales en 2021 et 2022, soit 4 % de la population en âge de scolarisation. Toujours selon le Bureau de l’éducation, 6550 des 72 374 enseignants ont quitté leur poste au cours de l’année scolaire 2021-2022. Les parents et les enseignants invoquent la Loi sur la sécurité nationale et l’accent mis sur « l’éducation patriotique » comme motifs de départ. Dès l’école primaire, les élèves doivent en effet se familiariser avec les notions de « sécession », de « subversion », d’« activités terroristes » et de « collusion avec un pays étranger ». Les liberal studies censées développer la pensée critique ont été remplacées par un cours de « citoyenneté et développement social », lequel met l’accent sur la loyauté envers les autorités.

Aux prises avec ces départs massifs, les écoles ont bien du mal à recruter des enseignants et des élèves, et certaines sont menacées de fermeture.

Le mois dernier, les médias hongkongais ont révélé la purge en cours dans les bibliothèques publiques du territoire. En 2020, celle-ci concernait d’abord les livres sur la désobéissance civile.

Aujourd’hui, c’est près de 40 % des livres, magazines, vidéos et documentaires ayant trait à la politique, y compris ceux produits par le radiodiffuseur public RTHK, qui ont disparu.

Premiers contenus visés : les références à la répression de Tiananmen en 1989 et les mémoires des activistes hongkongais en prison ou en exil.

Trois ans après la promulgation de la Loi sur la sécurité nationale, Hong Kong a donc profondément changé. Le système électoral de la ville adopté en mars 2021 interdit toute forme de contestation et confie aux seuls « patriotes » – entendons les thuriféraires de Pékin – les leviers du pouvoir. Ainsi, parce que le processus de présélection des candidatures aux élections législatives s’est fortement rigidifié, seul un indépendant, très modéré, fait partie des 90 membres du LegCo élus en 2021. Un an plus tôt, avant que ne soient imposés la Loi sur la sécurité nationale et le nouveau code électoral, l’opposition démocratique pouvait pourtant espérer remporter une majorité des sièges…

Alors que le gouvernement de Hong Kong ne cesse de déclarer que la refonte du système assure la stabilité et la prospérité de la ville, celle-ci fait l’objet d’une condamnation générale des institutions internationales et des pays démocratiques, y compris en Asie.

Il n’est dès lors pas étonnant que la population hongkongaise connaisse une réduction alarmante. Elle vient en fait de connaître sa plus forte diminution en 60 ans en raison d’une vague d’émigration sans précédent : le nombre de résidants est passé de 7,52 millions fin 2019 à 7,29 millions mi-2022. Quand on ne peut plus aller aux urnes, on vote avec ses pieds.

Les touristes doivent-ils pour autant bouder Hong Kong ? Surtout pas ! Malgré tous ces bouleversements, celle que l’on surnomme à juste titre la ville-monde d’Asie (Asia’s World City) demeure une destination exaltante, avec ses montagnes vierges et son épicentre métropolitain comptant le plus grand nombre de gratte-ciel au monde.

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