Les révélations récentes concernant le modus operandi du ministre Simon Jolin-Barrette en ce qui concerne certaines nominations des juges à la Cour du Québec soulèvent bien des questions. Le choix d’un ami personnel du ministre de la Justice et l’annulation de quatre processus de sélection de juges, dont le dernier au district judiciaire de Sept-Îles (Mingan), témoignent d’une attitude qui frôle la désinvolture de la part du ministre et du gouvernement relativement à l’importance de cette tâche.

Contrairement à ce qui a été véhiculé dernièrement, la commission Bastarache ne s’est pas limitée à critiquer la prise en considération de l’allégeance politique dans le choix des juges, mais aussi, et surtout, des influences indues qui pervertissent le processus de nomination des juges, que ce soit en raison de l’allégeance politique, du népotisme ou du favoritisme. Dans son rapport déposé le 19 janvier 2011, le commissaire Bastarache écrivait que le « secret entourant le processus de sélection a pour effet de renforcer cette perception négative qui mine de manière générale la confiance du public dans le système judiciaire », ajoutant que ce processus, qui doit être fondé sur le mérite, était « perméable aux interventions et influences de toute sorte, notamment celles de députés, de ministres, de membres de partis politiques, d’avocats ou des candidats eux-mêmes ». Il importe d’ajouter que ces mots ont été écrits alors même qu’un comité de sélection indépendant était déjà en place.

Le rapport Bastarache faisait 34 recommandations visant à modifier ce processus. Dans sa recommandation 28, le commissaire « recommande que le népotisme, le favoritisme et l’allégeance politique soient nommément indiqués comme étant non pertinents pour la nomination d’un juge ».

Seule l’allégeance politique est mentionnée à l’article 26 du règlement en ce qui concerne la sélection par le comité indépendant. Mais qu’en est-il du népotisme et du favoritisme dans la nomination d’un juge ? Ces influences sont susceptibles de se présenter non pas dans la sélection des candidats par le comité indépendant, mais dans la recommandation du ministre et dans la décision du gouvernement.

Pas un privilège du ministre

Selon la Loi sur les tribunaux judiciaires, c’est au gouvernement que revient le devoir de décider qui seront les magistrats qui jugeront notamment de la commission de crimes au Québec et auront le pouvoir de priver un individu de sa liberté le cas échéant. Il s’agit d’une question très sérieuse qui ne doit pas être traitée à la légère. Il n’est pas suffisant pour le ministre de dire qu’il « assume pleinement son choix », parce que d’une part, ce n’est pas son pouvoir de nommer les juges, et que d’autre part, la nomination des juges n’est pas un privilège du ministre. C’est un devoir encadré par la loi et le règlement.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Il n’est pas suffisant pour le ministre Jolin-Barrette de dire qu’il assume pleinement son choix d’un ami au poste de juge, selon Martine Valois.

La posture du ministre Jolin-Barrette en réponse aux questions légitimes qui lui ont été posées est en porte-à-faux avec les principes et valeurs qui sous-tendent les recommandations du rapport Bastarache. Ces principes et valeurs sont le mérite, l’indépendance et la transparence du processus de sélection et la limitation des influences indues, dont le népotisme et le favoritisme. Annuler sans raison des processus de sélection qui ont été menés à terme revient à décider à la place du comité indépendant.

Une lecture parallèle des recommandations de la commission Bastarache et du règlement sur le processus de sélection des juges révèle que peu de recommandations ont de fait été mises en œuvre.

Tout d’abord, l’indépendance du secrétariat à la sélection et à la nomination des juges était une question primordiale pour le commissaire Bastarache. Ce secrétariat devait comprendre un coordonnateur à la sélection des juges qui ne dépendrait plus du ministère de la Justice, mais de l’Assemblée nationale. Un rapport annuel des travaux du secrétariat devait être fait à l’Assemblée. Non seulement cette recommandation n’a pas été suivie, mais tout dernièrement, le ministre Jolin-Barrette a fait modifier le règlement pour retirer l’obligation de consultation du juge en chef de la Cour du Québec et du Barreau du Québec pour la nomination du secrétaire à la sélection. Le comité de sélection devait être permanent et composé de membres nommés pour trois ans. Le commissaire Bastarache voulait que « les travaux du comité permanent de sélection se déroulent avec la plus grande transparence possible ». Ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui.

Enfin, les recommandations 32 et 33 visaient à obliger le ministre à motiver sa recommandation du candidat au Conseil des ministres « ainsi que la raison du choix en fonction de la situation dans le district judiciaire », et à faire une annonce publique de la nomination contenant les raisons qui ont motivé le choix du candidat. L’intérêt supérieur de la justice commande que le processus de sélection et de nomination des juges soit revu avec comme objectif d’instaurer une culture de justification et de transparence. Le secret qui entoure le processus actuel mine la confiance du public dans l’intégrité du processus et ne sert ni les juges ni le gouvernement.

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