Le poids du français diminue relativement à l’anglais au Québec. Ce constat est basé sur l’évolution des langues parlées régulièrement en toute liberté à la maison. La langue utilisée librement au foyer est, en effet, dans une très large mesure celle qui est employée dans la sphère publique et qui sera ultérieurement transmise aux enfants.

Pour simplifier les choses, nous avons adopté une codification linguistique des données du recensement de 2021 en pondérant l’utilisation du français par rapport à l’anglais de la façon suivante. On accorde la valeur 100 à une personne qui déclare utiliser le français le plus souvent (avec ou sans une langue tierce) et ne jamais utiliser l’anglais, la valeur 75 si elle utilise le français le plus souvent et l’anglais en second, la valeur 50 si elle utilise les deux également, la valeur 25 si elle utilise l’anglais le plus souvent et le français en second, et la valeur 0 si elle utilise seulement l’anglais.

Cette codification fait abstraction des langues tierces et considère seulement la relation entre le français et l’anglais. Les personnes qui n’utilisent ni le français ni l’anglais sont exclues du calcul.

Le résultat est que la part globale du français à la maison est passée de 87,2 % en 2001 à 86,2 % en 2016, puis à 85,3 % en 2021. Le français a donc d’abord perdu un point de pourcentage en 15 ans, puis un autre point au cours des cinq dernières années. La tendance à la baisse de 2001 à 2016 s’est donc accélérée depuis 2016.

La légère diminution sur ces quinze années s’explique surtout par le fait que la population de langue maternelle française, qui parle français dans 97 % des cas, ne se reproduit plus et qu’elle est progressivement remplacée par une population allophone (de langue maternelle tierce) qui parle français dans 60 % des cas.

Cette évolution à la baisse du français s’est poursuivie de 2016 à 2021, mais elle a été amplifiée par un revirement soudain de la pratique linguistique des allophones. Alors qu’ils avaient été de plus en plus nombreux à utiliser le français de 2001 à 2016, ils étaient moins nombreux à l’employer en 2021 qu’en 2016.

Nous avons naturellement cherché la source de cette inversion de tendance du côté des immigrants montréalais, en essayant de comprendre pourquoi ils ont moins tendance à parler français à la maison depuis 2016 qu’antérieurement.

Le graphique présente la réponse. Il indique la part occupée par le français relativement à l’anglais au sein de trois groupes distincts : (1) les immigrants permanents admis à diverses périodes dans le passé, (2) les immigrants temporaires, c’est-à-dire les résidents non permanents disposant d’un permis de séjour pour études, travail temporaire ou demande d’asile, de même que les membres de leurs familles, et (3) tous les non-immigrants.

On constate que moins de la moitié des immigrants permanents admis avant 1980, ceux d’avant la loi 101, faisaient régulièrement usage du français à la maison. La majorité préférait l’anglais. Le français a fait des gains considérables par la suite, les permanents admis entre 2011 et 2015 l’utilisant 74 % du temps. Ce pourcentage s’approchait peu à peu du taux d’utilisation du français par les non-immigrants, soit 80 %.

Mais comme on voit, la tendance s’est inversée depuis. L’usage régulier du français à la maison parmi les immigrants permanents a reculé de 9 points de pourcentage, passant de 74 % pour les personnes admises en 2011-2015 à 65 % pour celles admises en 2016-2021.

Qu’en est-il du taux d’usage régulier du français à la maison parmi les immigrants temporaires présents ? À 58 % en 2021, il était encore plus faible que la proportion de 65 % affichée par les immigrants permanents admis entre 2016 et 2021 (dont plusieurs étaient des temporaires admis à la permanence). Les programmes d’immigration temporaire étant administrés principalement par le gouvernement fédéral, les critères linguistiques applicables aux candidats sont moins stricts. Plusieurs d’entre eux viennent de pays où le français a peu de place.

Les données du recensement sont formelles. L’usage régulier du français par les immigrants permanents était en hausse jusqu’en 2016, mais il a sensiblement diminué en 2021. De plus, l’importante expansion du nombre d’immigrants temporaires depuis 2016 a accentué le recul du français.

Il crève les yeux que la tâche de la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, doit être de redresser la situation, y compris, s’il le faut, en exploitant pleinement les dispositions de l’Accord Canada-Québec de 1991 sur l’immigration. Elle doit impérativement s’assurer que, permanents ou temporaires, les immigrants au Québec – du moins ceux qui vont rester – fassent les bons choix linguistiques.

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