En 2019, lors des primaires démocrates, le sénateur du Vermont Bernie Sanders en a surpris plusieurs lorsqu’il a pris la tête d’un convoi de citoyens qui traversait la frontière canadienne pour acheter de l’insuline. Sanders voulait montrer l’absurdité des prix des médicaments aux États-Unis. Au sud de notre frontière, une simple fiole d’insuline peut être vendue 300 $ en pharmacie, tandis qu’au Canada, le citoyen peut l’acheter pour le dixième du prix. Or, la fiole coûte 8 $ à produire.

Il n’en fallait pas plus au sénateur pour décrier le manque de régulation des prix aux États-Unis. Pour Sanders, les Américains devraient prendre exemple sur le Canada.

Bien que Sanders ait raison que les prix des médicaments vendus aux États-Unis sont excessifs, plusieurs considèrent que le système canadien est loin d’être parfait. À titre de comparaison, les prix des médicaments sont 25 % plus élevés au Canada que la moyenne des pays de l’OCDE et le Canada se classe au troisième rang pour les dépenses pharmaceutiques par habitant.

Un Pharmasanté

Certes, les provinces et le fédéral peuvent négocier des prix de groupe avec les fabricants pharmaceutiques, mais avec 100 000 régimes d’assurances privées dans tout le Canada, force est de constater que le pouvoir de négociation est restreint. D’où l’idée de créer une assurance publique universelle qui remplacerait le système disparate de couverture de médicaments. Avec l’implantation d’une telle couverture, le gouvernement voudrait mieux contrôler les prix des médicaments et offrir une assurance-médicaments à tous les Canadiens.

Cependant, le coût d’une assurance publique pourrait refroidir les ardeurs du gouvernement. Un comité-conseil évaluait à 15 milliards de dollars de plus par année le prix d’un tel programme. Or, avec un déficit annoncé de 40,1 milliards de dollars pour l’année 2023-2024, le gouvernement fédéral aura de la difficulté à convaincre les Canadiens que ce programme sera implanté sans augmenter les taxes et les impôts.

Des prix difficiles à avaler

Comme le gouvernement du Canada réglemente les prix des médicaments brevetés au Canada, ce dernier comptait sur le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB) pour revoir la tarification des médicaments. Le CEPMB est un organisme de régulation indépendant dont la responsabilité est de protéger les Canadiens des coûts excessifs des médicaments.

Le CEPMB a ainsi proposé en 2019 une série de modifications à la réglementation des prix des médicaments : 1– la mise en place de nouveaux facteurs de réglementation des prix fondés sur l’économie et la capacité de payer des Canadiens ; 2– la mise à jour de la liste des pays servant de comparaison pour établir des plafonds de prix pour les médicaments ; 3– le besoin d’exiger davantage d’informations sur le coût des médicaments et sur les rabais accordés à des tiers. De cette réforme, des économies de 13 milliards de dollars sur 10 ans étaient prévues.

Bien entendu, les compagnies pharmaceutiques n’avaient pas dit leur dernier mot et elles ont remis en question la légalité des actions du gouvernement. Un litige qui s’est soldé le 18 décembre 2020 par l’invalidation des actions du gouvernement en Cour supérieure du Québec sur la base qu’il est inconstitutionnel de la part du CEPMB de réguler les ententes et l’accès au rabais des titulaires de brevets.

Heureusement, la Cour du Québec maintenait la modification de la liste des pays qui servent de comparaison pour établir des prix plafonds pour les médicaments. Il est proposé de retirer les États-Unis de la liste et d’ajouter à celle-ci l’Australie, la Belgique, le Japon, les Pays-Bas, la Norvège, la Corée du Sud et l’Espagne. Les prix des médicaments aux États-Unis sont exagérément élevés et faussent l’analyse comparative faite auprès d’autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Selon les prévisions, cette seule modification pourrait réduire les dépenses de médicaments de 19 %.

On trouve de tout… même un ministre

Coup de théâtre, le ministre de la Santé Jean-Yves Duclos a demandé en novembre dernier la suspension de la modification que la Cour du Québec avait maintenue. Dans un échange de lettres obtenues grâce à la loi d’accès à l’information, des représentants de l’industrie pharmaceutique auraient rencontré le ministre et son équipe pas moins d’une douzaine de fois à l’automne 2020. Les lettres obtenues confirment également qu’à la suite de ces rencontres, le ministre Duclos est intervenu personnellement auprès de la présidente du CEPMB pour lui demander de suspendre la réforme. Quelques mois plus tard, la présidente, le directeur et un membre du CEPMB avaient démissionné.

Alors que le puissant lobby pharmaceutique peut se targuer d’avoir réussi à contrer les efforts du gouvernement fédéral pour réduire les prix des médicaments, difficile pour le citoyen de ne pas être désabusé face à une industrie pharmaceutique qui ressemble à un éléphant dans la pièce. Avec un brin d’ironie, Fernand Séguin écrivait : « La santé, on nous l’a assez dit, n’a pas de prix, et si la maladie a un prix, qui est celui de la pilule, nous sommes disposés à le payer jusqu’au moment où nous n’en aurons plus les moyens. Pourvu que le Valium demeure à la portée de tout le monde. »

Lisez l’article « Canada ponders a federal programme for pharmaceuticals » (en anglais) Lisez l’article « After pharma lobbying, minister intervened to suspend drug-price reform » (en anglais) Lisez l’article « Health Minister’s behaviour on drug-price reforms led to resignations, ex-board member says » (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion