Mars 2023 marque les 12 ans de la Révolution syrienne. Exclu du système international dans la foulée d’une indicible répression, le régime syrien y fait aujourd’hui petit à petit son retour. La réhabilitation diplomatique d’un gouvernement dont la brutalité n’a que peu d’équivalents contemporains semble pourtant défier moralité et logique politiques. Les pays occidentaux auront-ils la sagesse de s’en abstenir ?

Commencée il y a déjà plusieurs années, la réhabilitation du gouvernement de Bachar al-Assad sur la scène internationale se poursuit inexorablement. Les Émirats arabes unis ont, par exemple, réouvert leur ambassade à Damas en 2018. L’Arabie saoudite, pourtant l’un des principaux soutiens des organisations combattant le régime syrien à la suite de la révolution, serait également près de restaurer ses relations diplomatiques avec ce régime. Les récents séismes à la frontière turco-syrienne ont amplifié encore davantage cette lente réhabilitation du gouvernement d’Assad, offrant à ce dernier l’occasion de se poser en intermédiaire incontournable pour la distribution de l’aide humanitaire aux populations sinistrées.

PHOTO OMAR HAJ KADOUR, AGENCE FRANCE-PRESSE

La foule déploie le drapeau de l’opposition syrienne lors d’un rassemblement pour souligner les 12 ans du soulèvement contre le régime de Bachar al-Assad, à Idlib, en Syrie.

Pour l’heure, les pays occidentaux qui ont soutenu la révolution contre Assad ne se sont pas engagés dans un processus de normalisation de leurs relations avec l’État syrien. S’aventurer dans cette voie promue surtout par des représentants de la droite extrême, notamment européenne, serait hautement coûteux sur le plan moral – raison déjà suffisante pour s’en abstenir – et trahirait une vision politique à courte vue. Les personnes militant pour une reprise des relations diplomatiques avec Assad, qui présentent cette option comme étant la moins mauvaise des solutions, auront la charge d’en démontrer les hypothétiques bénéfices.

Une normalisation immorale

Bien que des chiffres précis ne soient pas disponibles, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a estimé que le régime syrien et ses acteurs partenaires sont les premiers responsables des atrocités commises contre les civils depuis 2011. En recourant à un système de répression sophistiqué hérité du gouvernement d’Hafez al-Assad, le régime de son fils Bachar et ses acteurs affiliés ont, selon plusieurs organisations internationales et non gouvernementales, commis d’innombrables atrocités, allant de l’usage d’armes chimiques aux disparitions forcées en passant par les arrestations arbitraires, la torture et les violences sexuelles. Symbole de l’élimination systématique d’opposants réels ou supposés, la seule prison de Saidnaya, proche de Damas, a été le théâtre de milliers d’actes de torture et d’exécutions.

En plus de cibler les individus, le régime et ses acteurs partenaires ont bafoué les principes humanitaires les plus élémentaires. Un exemple fut le bombardement massif d’hôpitaux dans les zones contrôlées par l’opposition syrienne.

La violence du gouvernement et des entités affiliées n’est d’ailleurs pas chose du passé. Human Rights Watch a notamment rapporté le largage de bombes à sous-munitions sur des camps de personnes déplacées par les forces gouvernementales en novembre 2022. Rétablir des relations diplomatiques avec le régime de Bachar al-Assad serait dès lors trahir la mémoire de ses innombrables victimes.

Une normalisation illogique

En plus de braver la moralité, la réhabilitation diplomatique d’un tel régime relèverait d’une vision politique à courte vue de la part des États occidentaux. Depuis 2011, Assad a en bonne partie bâti sa survie politique sur une stratégie pouvant se résumer par : c’est moi, mon gouvernement et ses pratiques, ou le chaos, incarné par les groupes djihadistes. Les tenants d’une reprise des relations avec le régime reprennent ainsi souvent cette dichotomisation artificielle des solutions de rechange politiques. La morale serait secondaire à la réalité, et seuls un maintien du pouvoir actuel et sa réintégration dans le système international assureraient la stabilité du pays et de la région.

Or, cet argument centré sur la stabilité procède d’une logique fallacieuse.

Sur le plan interne, le système hautement répressif et ne tolérant aucune réelle opposition politique a certainement été l’un des facteurs favorisant le succès d’idéologies telles que celles incarnées par l’État islamique.

Le régime Assad n’a nullement été un rempart contre la violence djihadiste : les Syriens ont subi l’un et l’autre. Les mêmes causes tendant à mener aux mêmes conséquences, croire qu’une réhabilitation du gouvernement syrien sans modification significative de son fonctionnement interne serait source de stabilité future est un vœu pieu.

Sur le plan régional, réhabiliter le régime reviendrait à dissocier l’issue – le maintien d’Assad au pouvoir – des moyens mobilisés pour y arriver – les crimes de masse. Le signal envoyé à l’ensemble des régimes autocratiques serait que le jusqu’au-boutisme est ultimement payant, ce qui ne pourrait que conduire à plus d’atrocités et d’instabilité.

Alors que l’Iran connaît des mobilisations de masse et que la Cour pénale internationale vient de lancer un mandat d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine, faut-il, anachroniquement, réhabiliter un régime coupable d’atrocités de masse ou redonner du poids à la justice internationale ? Intégrer des considérations morales dans la définition des relations entre États n’est pas faire preuve de naïveté face à la réalité du monde, mais plutôt juger que cette réalité n’est jamais une fatalité. La politique étrangère a toujours été, et doit demeurer, un levier de changement.

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